L'énigmatique Atout XVI, LA MAISON DIEU (accès libre)

LA MAISON DIEU, Tarot Conver, Éditions Y. Reynaud

• LES ÉNIGMES DE LA MAISON DIEU

Beaucoup de choses sont mystérieuses dans cet Atout.

D'abord le nom de l'Atout XVI est étrange : LA MAISON DIEU. Que signifie cette désignation ? S'agit-il de la maison de Dieu, autrement dit le temple, l'église, la cathédrale, la mosquée et autres lieux de culte ?

Mais dans ce cas, pourquoi avoir enlever l'article possessif "de" devant le mot "dieu" ? Si c'est la maison de dieu, pourquoi avoir écrit "LA MAISON DIEU" et non "LA MAISON DE DIEU" ?

Bien sûr cela fait penser au terme "l'Hôtel-Dieu" qui renvoie aux hospices et hôpitaux du Moyen Âge et qui accueillaient les miséreux. Mais s'agit-il bien de cette référence ?

Et que représentent ces deux personnages en bas de l'iconographie ? Sont-ils en train de tomber ? Ou bien sont-ils d'habiles acrobates qui marchent sur les mains ? Peut-être sont-ils en lévitation comme le sont, semble-t-il, les sphères colorées qui entourent la tour.

Et que peuvent bien représenter ces sphères colorées qui semblent en suspension dans le ciel ? Certains, en dépit de toute cohérence historique, y voient des confettis et interprètent l'Atout comme celui du 14 juillet, avec son côté festif, ses confettis et son feu d'artifice. D'autres y voient les bulles d'une bouteille de champagne ouverte en jet.

Et cette tour qui paraît si solidement construite. Pour quelle raison est-elle couronnée ?

Pourquoi cette couleur chair ?

Et qu'est-ce qui surgit à la droite de la Tour, en haut, à côté de la Couronne renversée ? S'agit-il de flammes ou de plumes ? Quelles sont leurs significations symboliques ?

• LES INTERPRÉTATIONS LES PLUS OPPOSÉES SONT EN JEU ENTRE TAROMANCIENS ET TAROLOGUES

Cet Atout et ses interprétations nous rappellent qu'il est nécessaire de distinguer entre taromanciens et tarologues.

Les premiers font un usage du Tarot qui est essentiellement divinatoire. Ils font de lui un oracle au même titre que l'oracle de Belline par exemple, l'oracle bleu, etc.

Les tarologues sont simplement des amateurs du Tarot et savent, pour avoir eu une importante fréquentation de ce merveilleux jeu à forte valeur symbolique, qu'il n'a pas été créé pour un usage de mantice.

Il est au demeurant fort révélateur que la plus grande des pythonisses de notre époque, Yaguel Didier, a toujours senti que le Tarot ne devait pas être utilisé par elle dans son travail de divination. Il y avait là, a-t-elle révélé, un objet sacré de nature initiatique qui lui interdisait son usage oraculaire.

Cette divergence entre taromanciens et tarologues se traduit par des interprétations souvent divergentes au sujet de la signification symbolique des Cartes. C'est particulièrement le cas à propos de l'Atout XVI.

L'Atout XVI dans le Rider

Pour les taromanciens souvent, l'Atout représente essentiellement la Tour de Babel, et dès lors l'événement soudain et qui a l'allure d'une catastrophe. C'est l'Atout de la destruction. C'est dès lors pour eux la carte du châtiment divin, l'expression d'un soudain effondrement, d'un coup de sort dans le sens le plus négatif qui soit

Et ils se sentent d'autant plus habilités à cette interprétation, que le terme "babel" qui vient de "babylone" signifie en grec : "la Porte de Dieu".

De la Porte de Dieu à LA MAISON DIEU, il n'y a qu'un pas, semble-t-il.

Les tarologues et parmi les meilleurs d'entre eux Marianne Costa et Alessandro Jodorowsky y voient tout autre chose : "Temple, construction, joie, débordement, choc, expression, célébration, danse, déboucher, ouverture, déménager, éclater" sont, ainsi, les mots clés qu'ils mettent en avant. Pour eux :

"LA MAISON DIEU n'est pas la maison de Dieu. Le Tarot nous indique très clairement, avec. les briques couleur chair, que cette Tour est notre corps, et que notre corps contient la divinité."

Alors, comment trancher ? S'agit-il de la Tour de Babel ou d'une représentation symbolique du Corps humain sacré ?

• LE RETOUR DE LA RENAISSANCE À LA LECTURE DES TEXTES ORIGINELS

L'opposition entre les interprétations de l'Atout XVI qui en font une Tour de Babel ou un solide Temple ouvert vers le ciel n'est peut-être pas aussi extrême qu'elle paraît dès lors qu'on replonge dans le contexte historique et les états d'esprit de l'époque qui a fait naître le Tarot.

Il faut se souvenir que l'élite de la Renaissance à laquelle appartenaient les créateurs du Tarot de Marseille avait pris de la distance à l'égard de l'enseignement de l'Église de Rome. Non seulement elle s'était éprise de la philosophie de Platon dont les manuscrits lui étaient parvenus en même temps que les réfugiés de Constantinople, ainsi que de l'enseignement hermétique, mais elle lisait la bible dans des textes originels.

Or, la Bible ne parle pas de la destruction de la Tour de Babel, mais de la fin de l'unité linguistique de l'humanité :

"Toute la terre avait une seule langue et les mêmes mots. Après avoir quitté l'est, ils trouvèrent une plaine dans le pays de Shinear et s’y installèrent. Ils se dirent l'un à l'autre: «Allons! Faisons des briques et cuisons-les au feu !» La brique leur servit de pierre, et le bitume de ciment. Ils dirent encore: « Allons! Construisons-nous une ville et une tour dont le sommet touche le ciel et faisons-nous un nom afin de ne pas être dispersés sur toute la surface de la terre. » / L'Éternel descendit pour voir la ville et la tour que construisaient les hommes, et il dit: « Les voici qui forment un seul peuple et ont tous une même langue, et voilà ce qu'ils ont entrepris ! Maintenant, rien ne les retiendra de faire tout ce qu'ils ont projeté. Allons ! Descendons et là brouillons leur langage afin qu'ils ne se comprennent plus mutuellement.» L'Éternel les dispersa loin de là sur toute la surface de la Terre. Alors ils arrêtèrent de construire la ville. C'est pourquoi on l’appela Babel : parce que c'est là que l'Éternel brouilla le langage de toute la terre et c'est de là qu’il les dispersa sur toute la surface de la Terre."

Quand on lit ce texte, dans son sens littéral, on ne peut que comprendre pourquoi l'Église de Rome a orienté l'interprétation de ce mythe vers tout autre chose que ce qu'il dit vraiment : on y voit une humanité unie et qui découvre son pouvoir d'architecte avec l'invention de la brique, et qui se heurte à une Divinité, L'Éternel, au caractère envieux et avaricieux qui ne supporte pas la puissance de jeunes rivaux et fait tout pour détruire cette puissance.

Bien évidemment que cette lecture au premier degré doit être supplantée par une lecture symbolique. On peut ainsi y voir l'immaturité d'une humanité qui veut quitter la Terre et n'être que du Ciel et se trouve confrontée à la nécessité de suivre d'abord les voies de la Terre où elle fait l'expérience de la dispersion, de la division et du multiple.

L'important, cependant, pour résoudre l'énigme que représente l'opposition entre les interprétations que suscite l'Atout XVI, c'est de savoir que l'élite de la Renaissance qui est à l'origine du Tarot de Marseille lisait la Bible dans le Texte et savait que ce texte ne parlait pas de destruction de la Tour de Babel, mais de son inachèvement.

C'est exactement ce que représente Brueghel l'Ancien, dans sa représentation de la Tour de Babel de 1563. On y voit une cité inachevée  en forme de Tour à plusieurs étages, dans une tonalité solaire, et qui suit une forme en colimaçon. La Tour est entourée d'êtres humains en partance vers de nouveaux horizons.

Brueghel l'Ancien, La Tour de Babel de 1568.

Mais Brueghel l'Ancien a aussi peint en 1568 une "petite" Tour de Babel, plus conforme aux enseignements de l'Église de Rome où une Tour en ruine partielle entourée d'un paysage sombre et nuageux. Elle représente, alors, le châtiment divin.

Très clairement, le Tarot de Marseille est davantage accordé à la première version de la Tour de Babel de Brueghel l'Ancien qui est, elle et elle seule, en accord avec le texte biblique.

Mais, rien n'indique cependant que le Tarot en reprend la totalité du message, car les personnages dans l'iconographie ne semblent pas en partance, ni exprimer leur mutuelle incompréhension.

• CE QUE NOUS APPREND LA PLACE DE L'ATOUT DANS L'ORGANISATION HOLISTIQUE DU TAROT : IL DÉMARRE LA TROISIÈME MAIN

L'Atout XVI ouvre la quatrième Main des Atouts.

Cette quatrième Main des Atouts rassemble les Atouts cosmiques du Tarot, elle est en lien harmonique avec la Couleur de Coupe, et l'Ange du MONDE.

Ce qui est en jeu dans la quatrième Main des Atouts est immédiatement visible dès lors qu'on distribue les Cartes du Tarot cinq par cinq : ce sont des Atouts qui mettent en scène des émanations du Ciel : sphères multicolores dans LA MAISON DIEU, chant silencieux des astres dans L'ÉTOILE, gouttes de lumière lunaire dans LA LUNE, gouttes de lumière solaire dans LE SOLEIL, rayonnement et musique angélique dans LE JUGEMENT.

Cette quatrième Main met en scène l'éveil de l'humanité à sa nature de Coupe ce qui lui permet d'accueillir les émanations et bénédictions du Ciel et, comme le fait la jeune femme de L'ÉTOILE, les répandre ensuite dans le sol terrestre et les eaux de la Terre.

Est-il alors vraisemblable que les créateurs du Tarot aient placé en premier Atout de cette quatrième Main un châtiment divin ?

Bien sûr que l'image de la Tour solidement implantée de LA MAISON DIEU avec sa tête couronnée et dès lors royale, mais aussi ouverte, est une présentation où se mêlent les notions de Coupe et Temple car c'est ce que représente l'être humain éveillé à sa nature spirituelle, dans sa chair et son âme.

On comprend dès lors ce que signifie ce terme de LA MAISON DIEU. Il ne s'agit ni d'un hospice, ni d'un hôpital, ni d'une simple église ou d'un temple lambda.

Il s'agit du Temple que représente, sur Terre, l'être humain réalisé dans sa propre divinité. C'est au sens littéral du terme "la maison qui est Dieu" sur Terre. L'interprétation rejoint pleinement l'intuition des tarologues.

On comprend aussi pourquoi les deux personnages ont cette étrange posture : ils ne sont pas en train de tomber d'une Tour en flamme, mais ont appris la leçon du PENDU. Ils sont enracinés dans le Ciel et dans la lumière solaire, comme le montrent leurs pieds dorés qui sont placés en haut de leur corps.

Leur posture rejoint celle du PENDU comme l'avaient compris Marianne Costa et Alessandro Jodorowsky. Ils en ont acquis la mysticité. Leur enracinement est dans le Ciel et non de la Terre. Mais leurs mains sont plongées dans la matière. Ce sont des créateurs.

Leurs mains touchent le sol, pour signifier qu'ils agissent comme Dieu le ferait sur Terre: elles transforment le sol matériel en matière dorée, remplie de lumière.

Ce sont des adjutores dei pour reprendre l'expression au philosophe Bergson quand il parle des mystiques qui ne sont pas que des contemplatifs mais des créatifs et de grands bâtisseurs.

Leur nature est angélique et c'est pourquoi ils sont représentés par l'ange en haut à gauche dans LE MONDE.

• LA MAISON DIEU TERMINE LA VERTICALE DES I ET OUVRE LE CHEMIN VERS LE MONDE

Loin de représenter des êtres humains pleins de morgue et voulant s'élever au-dessus de leur condition en étant suffisamment arrogant pour défier le divin, LA MAISON DIEU incarne la plus haute représentation de l'Individualité humaine, véritable Temple divin, avant LE MONDE.

La Verticale des I met en effet en scène la construction de l'individualité (du BATELEUR à LA FORCE), puis la reliance, dans un chemin d'individuation, du Moi au Soi (de LA FORCE au MONDE).

C'est bien l'Individualité née à elle-même dans sa double nature que représente LA MAISON DIEU.

D'où l'existence de deux personnages et non d'un seul : l'un représente le Moi, l'autre en arrière et à moitié caché, le Soi.

• LES PLUMES EN FORME DE FLAMMES REPRÉSENTENT L'ANTONYME DE LA STRUCTURE

Forts des indications que nous donne la place qu'occupe l'Atout XVI dans l'Organisation holistique du Tarot de Marseille, nous sommes désormais capables de comprendre ce qui est en jeu dans ses plumes qui relient le haut de la Tour au ciel.

Ces plumes ne sont pas une représentation sophistiquée du feu du ciel ou de l'éclair vengeur du divin, qui viendrait punir les êtres humains, mais elles ont bien leur signification de plumes. La plume, nous explique G. Romey, l'inventeur du REL (Rêve Éveillé Libre), une méthode thérapeutique qui passe par l'image, est "l'antonyme de la structure".

Or, la Tour est l'image même de la structure.

Mettre ensemble plumes et tour représente la plus jolie façon de faire comprendre que l'Individualité que représente l'Atout XVI a procédé, en lui, à la réconciliation des contraires, condition de réalisation du Soi, de la Divinité dans son Unité. En elle, le lourd devient léger comme on le voit dans cette présentation des sphères colorées en suspension. Et le léger devient solide et structuré comme la Tour.

• LES SPHÈRES COLORÉES REPRÉSENTENT LA ROSÉE SPIRITUELLE

La représentation de l'Atout XVI conserve une dernière énigme qu'il s'agit donc de résoudre : que sont ces sphères colorées qui semblent flotter dans l'Air ou tomber du Ciel ?

Il ne s'agit ni de pierres se détachant de la Tour pour tomber sur la tête de malheureuses victimes d'un incendie déclenché par la colère divine, ni de confetti jetés par des participants aux festivités nationales de la France pour un événement qui n'était pas encore arrivé à l'époque où le Tarot a été créé, ni non plus de bulles de champagne d'une bouteille ouverte après avoir été secouée...

Il s'agit de gouttes d'eau en suspension dans l'Air, c'est-à-dire de la rosée du matin, quand le soleil se lève et les remplit de lumière colorée.

La rosée est un symbole d'une grande profondeur spirituelle qui est évoqué par tous les grands mystiques. Elle symbolise l'âme éveillée, l'âme dans sa nature anima, liquide, mais traversée de la lumière divine et offerte à la douceur de qui contemple la Création.

Ce sont les larmes de l'Aube, les perles de tendresse du Créateur à l'égard de ses créatures que nous voyons dans l'Atout XVI.

En ces sphères de couleur se joue le symbole qu'est la multicoloration qui incarne, pour citer Le Dictionnaire de la symbolique des rêves de G. Romey, la lumière intérieure, celle du trésor caché, celle du Soi, c'est-à-dire du Divin qui se trouve en chaque être humain.

Alors, il s'agit peut-être d'un feu d'artifice, mais feu d'artifice symbolique et discret.

C'est la joie sans limites qu'exprime la rosée du matin, mais une joie douce, sans éclat passionnel ni manifestation débordante, mais c'est une joie d'autant plus irréversible.

C'est la joie de se savoir vivant, et de se savoir participer, en conscience, à ce Corps divin qu'est le Cosmos.