LA VERTICALE DES II (accès libre)
- Hem Elbée
- 4 févr.
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 25 mars

LA VERTICALE DE LA DUALITÉ
Puisque l'on sait, désormais, que le Tarot n'est autre que le Livre en image de la doctrine hermétique telle qu'elle s'était imposée à la Renaissance au sein de l'élite italienne, il est nécessaire de rappeler, pour comprendre le rôle que joue cette Verticale des II au sein du Tarot, ce que représentait la dualité aux yeux des philosophes alexandrins de l'Antiquité tardive, ceux en particulier qui ont écrit le Corpus Hermeticum.
La dualité était d'abord, pour eux, l'expression même de toute Manifestation, celle-ci s'exprimant à la fois dans les oppositions et le conflit, mais aussi dans l'attrait érotique des contraires, et encore dans la nécessaire réunification que seul permet cet attrait.
La dualité accompagne, en effet, le moment même où la divinité bascule de l'Unité divine originelle, à la fois invisible et indicible, vers la réalité visible et exprimable en mots.
La première et fondamentale dualité qui sépare, éloigne, oppose, met en scène le face à face de la Lumière divine et des Ténèbres faites de matière humide, d'obscurité, de passivité, puis elle agit de toute la force du désir amoureux pour les réunifier.

Voici le tout début du Poimandrès, ce premier Traité du Corpus Hermeticum que Marsile Ficin avait eu entre les mains, et avait traduit, permettant à l'élite de la Renaissance italienne de découvrir ce manuscrit grec longtemps oublié de l'Occident venu de Constantinople. Ce livre, lu dans le manuscrit en latin de Ficin, dans sa traduction en Italien, dans ses multiples éditions imprimées partout en Europe a révolutionné l'imaginaire occidental faisant renaître l'hermétisme antique, en pleine Renaissance, lui accordant cependant une tonalité et une espérance différente, de nature évangélique.
C'est Hermès qui parle :
« Je réfléchissais un jour sur les êtres ; ma pensée planait dans les hauteurs, et toutes mes sensations corporelles étaient engourdies comme dans le lourd sommeil qui suit la satiété, les excès ou la fatigue. Il me sembla qu'un être immense, sans limites déterminées, m'appelait par mon nom et me disait : ‘Que veux-tu entendre et voir, que peux-tu apprendre et connaître ?’ ‘Qui donc es-tu ?’, répondis-je. ‘Je suis, dit-il, Poimandrès (le pasteur de l'homme), l'Intelligence souveraine Je sais ce que tu désires, et partout je suis avec toi.’ -‘Je veux, répondis-je, être instruit sur les êtres, comprendre leur nature et connaître Dieu’. ‘Reçois dans ta pensée tout ce que tu veux savoir, me dit-il, je t'instruirai’./ À ces mots, il changea d'aspect, et aussitôt tout me fut découvert en un moment, et je vis un spectacle indéfinissable. Tout devenait une douce et agréable lumière qui charmait ma vue. Bientôt après descendirent des ténèbres effrayantes et horribles, de forme sinueuse ; il me sembla voir ces ténèbres se changer en je ne sais quelle nature humide et trouble, exhalant une fumée comme le feu et une sorte de bruit travers l'autre, et recevaient l'impulsion de la parole qu'on entendait sortir du fluide supérieur./ ‘As-tu compris, me dit Poimandrès, ce que signifie cette vision ?’ ‘Je vais l'apprendre’, répondis-je. ‘Cette lumière, dit-il c'est moi, l'Intelligence, ton Dieu, qui précède la nature humide sortie des ténèbres. La parole lumineuse (le Verbe) qui émane de l'Intelligence, c'est le fils de Dieu’. ‘Que veux-tu dire ? répliquai-je. – ‘Apprends-le ce qui en toi voit et entend est le Verbe, la parole du Seigneur ; l'Intelligence est le Dieu père. Ils ne sont pas séparés l'un de l'autre, car l'union est leur vie’. ‘Je te remercie’, répondis-je. ‘Comprends donc la lumière, dit-il, et connais-la.’ » Parole d'Hermès dans le Poimandrès, premier Traité du Corpus Hermeticum
On pourrait croire, à lire le Poimandrès, que son auteur s'est inspiré de la Genèse et de la description qu'elle fait du premier jour de la Création :
"AU COMMENCEMENT, Dieu créa le ciel et la terre. Et la terre était informe et vide, les ténèbres étaient au-dessus de l’abîme et le souffle de Dieu planait au-dessus des eaux. / Dieu dit : « Que la lumière soit. » Et la lumière fut./ Dieu vit que la lumière était bonne, et Dieu sépara la lumière des ténèbres./Dieu appela la lumière « jour », il appela les ténèbres « nuit ». Il y eut un soir, il y eut un matin :/ premier jour."

Dans les deux descriptions cosmogoniques juive et hermétique, cependant, la posture divine est à l'opposée l'une de l'autre : pour le monde hébraïque, le divin est une entité transcendante, alors qu'il accouche du monde comme de sa propre essence dans l'hermétisme. Et même si le milieu alexandrin où furent écrits les plus grands textes hermétiques parvenus jusqu'à nous, et en particulier le Corpus herméticum et l'Asclépios, abritait une importante communauté juive, l'hermétisme doit beaucoup moins à l'influence de cette dernière sur sa représentation du réel qu'à la métaphysique égyptienne et à la philosophie grecque qui, déjà, avaient imaginé le Deux venir de l'Un.
Loin d'être un être transcendant et éloigné de sa création, comme l'est le Dieu des Hébreux et des gnostiques, la divinité égyptienne et hermétique n'est pas séparée de la Manifestation : c'est Elle-même qui ne peut Se Manifester qu'en acceptant de traverser la dualité.
Ce qu'on apprend aussi, à lire le Poimandrès, c'est que si toute dualité est faite d'opposition, de contradictions et souvent de luttes, de guerres, de violences diverses et variées, elle est avant tout Désir.
D'emblée, les Ténèbres appellent la Lumière et ce désir infini est créateur du Feu qui s'élève de la Terre vers le Ciel, témoignant de l'attraction érotique irrésistible qu'éprouve la Matière humide et les Ténèbres originelles pour la Lumière perdue.
Dans l'hermétisme, l'aventure cosmique qu'est la Manifestation divine raconte l'aventure de désir et d'amour qu'éprouvent la Terre et le Ciel, l'un pour l'autre, qu'est la Manifestation. Et cette attraction est aussi celle qu'éprouvent les Éléments entre eux dans les multiples combinaisons qui forment le Monde. Le désir amoureux fait de la Création tout entière, une immense tension historique et érotique visant à reformer l'Unité originelle perdue.
La doctrine hermétique qui ne consiste en rien d'autre qu'en la révélation de cette aventure cosmique insiste aussi sur le rôle que doit jouer l'humanité, en tant que porteuse de conscience et d'intelligence, dans le dépassement de la dualité et l'harmonisation des contraires et leur transformation en complémentaires qui est le but ultime de la Manifestation.
Au sein du Tarot, la Verticale des II est le plus important théâtre où se joue l'aventure de la dualité au sein de l'humanité, mais aussi les fausses conjonctions que celle-ci suscite et qui sont issues de la tentation oedipienne. Car en la dualité s'inscrit de terribles impasses, mises en scène aussi bien par la mythologie que par le Tarot, et qui ne seront cependant réellement comprises qu'avec les révélations que firent la psychanalyse et surtout Jung.
I DES ATOUTS QUI S'OPPOSENT DEUX PAR DEUX

Alors que la Verticale des I met en scène la progression d'une individualité essentielle jusqu'à sa réalisation concrète et sa reliance au Ciel, la Verticale des II parle, conformément à son nombre, de la séparation, de la comparaison, de l'opposition, de la contradiction, mais aussi de la réconciliation, de la réunification, de la transformation des oppositions en couple de complémentaires qui résument l'histoire cosmique de la Manifestation dans son émergence, ses souffrances et son long cheminement jusqu'au mariage cosmique entre le Ciel et la Terre.
La première expression de la dualité telle qu'elle s'est traduite dans l'humanité, c'est la séparation en deux genres. Il n'est dès lors pas étonnant que la Verticale des II soit la seule des cinq Verticales où se joue un équilibre parfait entre les deux genres.
On y voit, aux extrêmes, deux femmes et, au centre, deux hommes. Cette distribution ne fait que retrouver l'organisation holistique de l'ensemble du Tarot où quatre Couleurs sont en harmonie avec les quatre Mains du Tarot, les Couleurs féminines - les Deniers et les Coupes - tout de même que les Mains féminines - la première et la quatrième - encadrant les Couleurs et Mains masculines où sont en jeu les Bâtons et les Epées.
Mais ce qui saute aux yeux dans la Verticale des II, c'est le fait que les deux couples qui ne sont pas les expressions d'une réunion des deux genres, mais des couples de manifestations du même genre, mais à l'opposé les unes des autres. L'ÉTOILE et LA PAPESSE incarnent deux types opposés de femmes et LE PENDU et LE CHARIOT deux types d'hommes ayant, visiblement, des manières d'être directement contradictoires.

Dans le couple femelle et aux deux extrêmes de la Verticale, on a une vieille femme et une femme jeune ; une femme couverte de tissus divers et variés et une femme nue ; une femme sans âge engloutie sous la pierre et l'urbanité culturelle et une jeune femme dans un paysage ouvert, naturel et cosmique ; une femme assise, immobile, méditative et une femme sur un genou et qui agit en versant l'Eau du Ciel dans les eaux de la Terre...
Et une même opposition systématique relie les deux membres du couple central de nature mâle : un jeune homme royal, dynamique, en mouvement rapide d'un côté et un homme immobilisé dans une posture extrêmement inconfortable sinon humiliante, pieds et poings liés de l'autre ; un jeune homme en mouvement horizontal et un jeune homme découvrant la verticalité inversée ; un jeune homme à qui tout réussi et un jeune homme contraint à subir les pires oppositions et à cultiver la plus longue des patiences...
LA PAPESSE ET L'ÉTOILE : LES DEUX VISAGES D'ISIS OU DE LA VIERGE MARIE
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