
Le Tarot de Marseille est un Livre en image qui parle un langage symbolique universel et divulgue un enseignement précis qu'il s'agit d'apprendre à décrypter.
Mais aborder le Tarot de Marseille est une véritable gageure pour tout amateur débutant tant les interprétations abondent.
Pour ne pas se perdre dans la forêt des interprétations, il faut suivre quelques règles.
Celles-ci vont permettre vous permettre d'avoir un regard neuf sur le Tarot.
POUR OUVRIR LE LIVRE DU TAROT, IL FAUT DONC...
I - REPÉRER LES DEUX AXES INTERPRÉTATIFS : INTIATIQUE OU DIVINATOIRE
Le Tarot a suscité deux axes interprétatifs, depuis sa découverte par Antoine Court de Gébelin au milieu du XVIIIe siècle.
Court de Gébelin, un spécialiste de la symbolique, de la mythologie antique, et un franc-maçon, y a vu le Livre en image d'un savoir secret antique, égyptien et qui représentait une sorte d'initiation. Il a inauguré l'axe initiatique du Tarot.

Mais, dans le Livre même, Le Monde primitif, où Court de Gébelin présenta au grand public sa découverte du Tarot de Marseille et le sens qu'il lui attribuait, il fit place à une dissertation écrite par le Comte de Mellet, qui affirmait l'existence d'un usage divinatoire du Tarot de Marseille.
Lequel de ces deux axes a-t-il été voulu par les créateurs du Tarot de Marseille ?
L'axe divinatoire : des interprétations taromanciennes projectives
Sur l'axe divinatoire, on va essentiellement trouver des interprétations de type projectif, avec lecture des Cartes à l'endroit, à l'envers, considération des regards, des couleurs, du type de personnage, etc.
Les taromanciens sont des cartomanciens spécialisés dans le tirage du Tarot qui considèrent que le Tarot de Marseille n'est pas un oracle comme tous les autres. C'est à leurs yeux, l'Oracle premier, l'oracle originel, celui à partir duquel tous les autres oracles se seraient constitués.
Cependant, chacun propose ses interprétations... Et celles-ci varient beaucoup d'un taromancien à l'autre.

Pour les mêmes Cartes du Tarot, on peut avoir des interprétations très opposées. Ainsi, LA MAISON DIEU est vue par certains comme une tour en feu et devient l'expression d'une catastrophe à venir. Pour d'autres, elle apparaît comme une pluie de pièces de monnaie, et la promesse d'une manne financière à venir. Certains autres encore y voient un feu d'artifice, et dès lors une carte de fête, de joie, l'occasion de sortir la bouteille de champagne...
On ne peut faire plus dissemblable... D'où les interprétations en pour et en contre, tout comme les interprétations de Cartes à l'endroit et à l'envers... Pour tenter de contenter tout le monde...
On a quand même bien l'impression que tout et son contraire peuvent être affirmés de chaque Carte.
Clairement, ce n'est pas en allant chercher chez les uns ou les autres des taromanciens qui offrent leurs interprétations que le message du Tarot risque d'être entendu.
Cela ne signifie pas que les taromanciens n'ont aucun talent ni ne dit rien en réalité sur la valeur de leurs capacités divinatoires. Cela signifie simplement que, pour eux, le Tarot n'est qu'un support qui soutient leur don de voyance.
Mais était-ce bien le rôle du Tarot ?
Laissons parler à ce sujet, Gérald Gassiot qui a recueilli les confidences de la plus grande voyante du XXe siècle, Yaguel Didier qui ne peut pas utiliser le tarot, comme si cela lui était interdit. Elle utilise un jeu commandé par le magazine Elle à Alain Le Foll et qu'elle avait découpé et encollé sur des rectangles de carton :
" de nombreux consultants croient qu'il s'agit du Tarot. Il n'en est rien, même si certaines lames ont des affinités avec les arcanes majeurs. Mais il émane du Tarot une force mystérieuse que notre amie ne souhaite pas apprivoiser. Jodorowski disait : 'le Tarot est un instrument magique, initiatique et merveilleux, un cadeau mystérieux fait à l 'humanité..." Ce miroir de l'inconscient peut§il renvoyer à celui qui l 'utilise des forces qu'il ne peut dominer ? Toujours est-il que chaque fois qu'elle a essayé d'utiliser le Tarot de Marseille, des troubles, des événements inexplicables, des phénomènes violents l'en ont dissuadée. Yaguel considère bien le Tarot comme un instrument initiatique, mais trop directif, impératif ; elle tient à rester libre et maîtresse du jeu, ce qu'elle peut faire avec la création de Le Foll."
J'ai eu personnellement le bonheur de rencontrer cette grande dame de la voyance et elle m'a confirmé qu'il y avait un interdit sur elle, à propos du Tarot. Il n'est pas fait pour cela pensait-elle, sans néanmoins porter le moindre jugement sur ceux qui en faisait cet usage. Pour elle c'était comme interdit.
L'axe initiatique et l'imagination sans limites des occultistes
Sur l'axe initiatique, l'amateur du Tarot ne sait pas plus où donner de la tête, car là aussi l'imagination projective s'en donne à coeur joie, faisant du Tarot de Marseille, l'enseignement des temples égyptiens reçus directement du dieu Thot, celui des religions à Mystères grecques, la transmission d'un enseignement secret de Dieu à Moïse et le fondement de la Cabale, le savoir secret des bohémiens, celui des templiers, ou celui des bâtisseurs des Cathédrales, le livre en image des anciens gnostiques, un livre alchimique équivalent du Mutus liber, etc., etc.
Comment s'y retrouver ?
Pour sortir de ces ambiguïtés et enfin découvrir ce que les créateurs du Tarot de Marseille ont voulu faire du jeu, il faut peut-être commencer par cesser de rattacher le Tarot à des traditions spirituelle, initiatiques ou divinatoires quelles qu'elles soient, tout comme à cesser de consulter les différentes interprétations qu'on trouve partout en librairie ou sur le Net... et cela jusqu'à ce qu'un examen approfondi de son histoire et de ce qu'il nous donne, vraiment, à voir, vous permettra de vous faire votre propre idée et de trancher.
Car il est clair qu'on ne peut pas en rester là. Il est nécessaire qu'un jour ou l'autre, ce Livre hautement symbolique soit enfin ouvert et que son enseignement devienne enfin accessible à l'humanité.
II - NE PAS FAIRE L'IMPASSE SUR L'HISTOIRE DU TAROT : ON DÉCOUVRE LES DEUX TYPES PRINCIPAUX DE TAROTS
L'amateur du Tarot est confronté au fait qu'il y a une foule de jeux différents, dans lesquels un certain nombre, plus restreints, se désignent eux-mêmes "Tarots de Marseille".
C'est le recours à l'histoire du Tarot qui permet de clarifier les choses : elle nous apprend à voir dans la foule des Tarots existants qu'il y a, en réalité, deux types de Tarot : il y a le Tarot de Marseille et ses différentes variantes, et le Rider et ses différentes variantes.
L'origine du Rider : une transformation du Tarot de Marseille qui démarre avec Court de Gébelin
L'histoire du Tarot nous apprend que, dès la découverte par Antoine Court de Gébelin du Tarot de Marseille, ce dernier dont il faut rappeler qu'il faisait partie des franc-maçons, opère des modifications importantes l'iconographie du Tarot de Marseille qu'il redessine. Et surtout, il opère une redésignation de certaines de ses Cartes.

Dans Le Monde primitif où il présente le Tarot au public, Antoine Court de Gébelin requalifie ainsi LE BATELEUR en JOUEUR DE GOBELET, LA PAPESSE en GRANDE PRÊTRESSE, et LE PAPE en GRAND PRÊTRE ou encore CHEF DES HIÉROPHANTES, LE CHARIOT en OSIRIS TRIOMPHANT, L'AMOUREUX en LE MARIAGE, etc.
Court de Gébelin a ouvert une porte dans laquelle se sont ensuite engouffrés les occultistes des XVIIIe, XIXe et XXe siècles. Éliphas Lévi qui veut faire du Tarot une expression de la cabale opère des transformations sur les Nombres. Ce dernier attribue, ainsi, sous l'influence de la place du Fou dans l'ordre des Lettres hébraïques, le Nombre XXI au MAT, et par voie de conséquences, le Nombre XXII au MONDE. Paul Christian de son côté requalifie les Cartes du Tarot parlant d' "Arcanes" et de "lames" au lieu de Cartes, d'Atouts, de Cartes de Couleur, de Cartes de Cour ou Honneur et de Cartes Numérales ou Nombres. Papus présente son Tarot dans un style égyptien, etc.
Toutes ces transformations occultes se sont ensuite rassemblées pour se stabiliser dans un Tarot fait par des membres de la Golden Dawn, "l'Ordre hermétique de l'Aube dorée", une société secrète britannique, consacrée à l'étude et à l'enseignement des sciences occultes.
Ce Tarot anglais, édité pour la première fois en 1909, prend le nom de son éditeur William Rider & Son, mais peut aussi être désigné par le nom de ses créateurs, Arthur Waite, le théoricien du Tarot, et Paméla Colman Smith, l'artiste-peintre et médium.

Il y a à partir de là deux types de Tarot : les éditions du Tarot de Marseille et le Rider et ses multiples recréations.
Nous aurons l'occasion de comparer en détail les interprétations respectives Tarot de Marseille et du Rider des différentes Cartes et examiner la validité ou l'absence de validité des transformations que le Rider a opérées.

L'une des caractéristiques du Rider qui explique l'immense succès qu'il a connu dans les pays anglo-saxons en tant qu'oracle divinatoire, c'est le fait que Pamela Colman Smith, la dessinatrice, a remplacé l'iconographie des Cartes numérales à enseignes du Tarot de Marseille par des symboles et des scènes qui sont beaucoup plus aisées à traduire sur un plan symbolique.
Mais les interprétations de Paméla Colman Smith, aussi remarquables qu'elles soient au regard des clés du Tarot que nous possédons, ont eu tendance à figer l'interprétation des Cartes Numérales et cela se constate dans toutes les recréations modernes du Rider.
Les multiples recréations anglo-saxonnes du Rider
Il y a, à partir de la moitié du XXe siècle jusqu'à nos jours, une intense production de Tarots divers et variés dans les pays anglo-saxons qui trouvent leur inspiration dans le Rider et lui restent, pour la majeure partie, grandement fidèles. C'est particulièrement vrai en ce qui concerne les Cartes Numérales, et on comprend pourquoi : en ce qui concerne la symbolique des Nombres, seule l'intuition de Pamela Colman Smith fait référence.
Parmi les très nombreux Tarots anglo-saxons, nous vous proposons de comparer deux Cartes du Rider avec leurs équivalentes dans deux jeux qui sont des recréations artistiques du Rider que vous rencontrerez sur ce blog, et cela afin que vous puissiez prendre la mesure de l'influence que conserve le Rider dans le monde anglo-saxon.
Le III de Pentacle de l'Enchanted Tarot (1992) d'Amy Zerner
Le Tarot enchanté est unique au monde en tant que création artistique. On le doit à Amy Zerner, issue d'une famille d'artistes américains. Elle a mis deux ans à la recréation des 78 Cartes de son Tarot. Chacune des Cartes est une oeuvre d'art faite de collages de tissus, dans un style de tapisseries, et l'ensemble a régulièrement participé à de prestigieuses expositions.

Si on compare le III de Pentacles - le nom donné aux Deniers dans de nombreux Tarots anglo-saxons - du Rider et du Tarot enchanté, on remarque immédiatement la communauté d'esprit qui les anime : il s'agit d'une scène de collaboration professionnelle.
L'espace de travail est masculin dans le Rider et féminin dans le Tarot Enchanté.
Pour le coup, le Tarot enchanté me semble plus en conformité avec l'influence du Nombre III et de son Atout, L'IMPÉRATRICE, que le Rider qui n'a pas mis en avant le côté féminin de ce Nombre.
Le VI d'Épée du Golden Tarot (2004) de Kat Black
Le Golden Tarot relève de la même veine artistique que le Tarot Enchanté. Son autrice, Kat Balck use d'une même technique de collages mais s'est fondée, cette fois, d'extraits de tableaux du Moyen-Âge.

Nous voyons ici, le VI d'Épée du Rider en comparaison avec le VI d'Épée du Golden Tarot.
Dans les deux Cartes, c'est à peu près la même scène : dans une barque poussée par un homme debout se trouvent une femme voilée et assise, et un enfant.
Il y a bien sûr quelques variations mais l'idée reste la même : il s'agit clairement d'un changement de rive.
Dans le Rider cependant où l'eau mouvementée est quittée au profit d'une eau calme, le message n'est pas tout à fait le même que dans le Golden Tarot, la femme dont on voit le visage porte un voile noir et tient l'enfant dans ses bras.
Le Retour, en France, tout au long du XXe siècle, du Tarot de Marseille originel
Face à la prolifération des Tarots anglo-saxons de plus en plus éloignés du Tarot de Marseille, des Cartiers français et des tarologues du XXe siècle ont éprouvé un fort besoin d'authenticité, et sont revenus aux jeux anciens du Tarot de Marseille.
Tout démarre avec Paul Marteau, héritier des Éditions Grimaud et philosophe, qui décide de relancer la vente de la partie ésotérique de ses collections. En 1930, il publie à cette fin un Tarot inspiré par le Tarot de Nicolas Conver et qui prend le nom d'"Ancien Tarot de Marseille".

Ce Tarot encore considéré comme un excellent Tarot par les amateurs a cependant le défaut d'avoir, pour des raisons d'économies, simplifié les couleurs des iconographies du Conver qui manifestement est la base sur laquelle il travaille.
Nous voyons sur l'iconographie de L'ÉTOILE qu'en comparaison avec le Conver, la couleur verte a disparu et que des transformations de couleurs ont été opérées en particulier au niveau de la chevelure, devenue bleue, de l'arbre du fond devenu noir, et dans une partie des deux vasques devenues entièrement de couleur rouge.
À partir de là, le Tarot de Marseille provoque un véritable engouement en France et sur le continent européen.

Le cartier Philippe Camoin se rapproche d'Alexandro Jodorowsky pour faire une sorte de synthèse qu'ils veulent aussi authentique que possible d'anciennes éditions du Tarot de Marseille dont celle bien sûr de Nicolas Conver, mais aussi celle de Jean Dodal, ou encore le Tarot de Besançon.
De son côté, Jean Claude Flornoy, cartier, mais aussi enlumineur et philosophe, publie d'anciennes éditions du Tarot de Marseille parmi lesquelles celles de Jean Noblet ou de Jean Dodal, et de Jacques Viéville.
Des Cartiers qui nous sont contemporains continuent ce travail de publication des Tarots des XVIIe et XVIIIe siècles, comme c'est le cas d'Yves Reynaud à qui l'on doit les illustrations principales de ce blog, ainsi que de l'artiste et tarologue éclairé qu'est Igor Barzilai du Tarot artisanal.
Cela veut-il dire que le véritable Tarot de Marseille est français ?
Pour Sir Michael Anthony Eardley Dummett, le grand historien anglais du Tarot, le Tarot n'est pas français, bien que les plus anciennes éditions du Tarot qu'on a pris l'habitude de désigner comme le "Tarot de Marseille" soient dues à des Cartiers français. Il ne vient pas du Moyen Âge non plus. Mais il est italien et né en pleine Renaissance à Milan.

Il se trouve, en effet, qu'au début du XXe siècle, six Cartes datant du début du XVIe siècle ont été retrouvées dans un puits du Château des Sforza à Milan. Or, elles étaient en parfaite conformité avec les images du Tarot de Marseille tel que nous le connaissons. Elles étaient aussi déjà accompagnées de leur Nombre.
Parmi ces six Cartes, se trouve la Carte du Monde avec une iconographie qui était déjà celle du Conver, et cinq Cartes aux enseignes italiennes.
Cette découverte a été décisive à nos yeux.
Pour aller plus loin et replacer les Cartes du Tarot de Marseille dans le contexte historique de leur création, celui de la Renaissance italienne, nous vous invitons à lire ce post : les jeux de cartes à l'époque de la Renaissance.
Savoir que le Tarot est né en Italie, à la Renaissance, est essentiel pour ouvrir le Livre en image qu'il représente. Mais cela ne suffit pas.
Il faut encore regarder le Tarot pour lui-même et en lui-même et chercher ce qui, dans ce qu'il nous présente, peut nous aider à en retrouver la clé.
III - OUVRIR LES YEUX ET TRAQUER, DANS LE TAROT, LES SINGULARITÉS ET ANOMALIES
Il y a de nombreuses anomalies et d'étranges singularités dans le Tarot de Marseille, disséminées dans les désignations de Cartes, dans les Nombres et dans les iconographies des Atouts.
Sachez que ces anomalies et singularités sont toutes des indices laissés par les créateurs pour permettre à l'amateur de retrouver la clé pour le cas où celle-ci aurait été perdue par la suite des temps qui permet d'ouvrir le Livre en image qu'est le Tarot de Marseille.
Résoudre les énigmes que représentent ces anomalies et singularités est l'un des plus sûrs moyens, que possèdent les amateurs du Tarot, pour ouvrir le Livre du Tarot et en lire le message qui s'y trouve inscrit.
Voici certaines de ces énigmes :

-Que signifie le nom de "Tarot" ?
-Pourquoi les nombres quatre, neuf, quatorze et dix-neuf ont-ils cette graphie si particulière : IIII, VIIII, XIIII, et XVIIII ?
-Pourquoi le créateur du Tarot a-t-il éliminé l'article dans la désignation de "TEMPERANCE" faisant, de l'Atout XIIII, une exception ?
-Pour quelle raison, dans certains Atouts, le "U" des désignations est remplacé par un "V" ?
-Pourquoi la roue dans l'Atout X, LA ROUE DE FORTUNE, tourne-t-elle à l'envers ?
-Pourquoi cette écriture du "H" dans la désignation de L'HERMITE ?
-Pourquoi LE MAT, le premier Atout, ne comporte-t-il pas de Nombre ?
-Que signifient le Livre que tient LA PAPESSE et la Toile qui s'étend derrière elle ?
Nous vous invitons à découvrir quelques énigmes du Tarot de Marseille ainsi que la résolution que nous en proposons dans cette catégorie de posts au sein de ce blog : Les énigmes du Tarot.
IV - RETROUVER LA TERMINOLOGIE ORIGINELLE ET COMPRENDRE QU'IL Y A TROIS TYPES DE CARTES ET NON DEUX
Dépoussiérer les appellations des Cartes
De nouvelles terminologies ont, historiquement, et progressivement accompagné les évolutions dans la façon dont le Tarot de Marseille a été saisi en Europe puis partout dans le monde, depuis la redécouverte du Tarot par Court de Gébelin. Elles ont effacé progressivement celle qui se maintenait encore au XVIIIe siècle, dans le monde des joueurs.
Or la manière dont sont désignées de nos jours les Cartes du Tarot est loin d'être anodine.
Pour accéder à l'enseignement du Tarot, il faut donc procéder à un dépoussiérage dans l'abord du Tarot au regard des transmissions opérées par les occultistes qui démarrent avec Court de Gébelin, car ils ont projeté sur les Atouts du Tarot des interprétations qui ne trouvent pas leur source dans le milieu humaniste de la Renaissance où manifestement le Tarot fut créé.
Connaître l'origine des termes "lames", "Arcanes Majeurs" et "Arcanes Mineurs" pour s'en libérer
Nous devons les plus importantes redésignation des Cartes du Tarot essentiellement à Paul Christian, de véritable nom Jean-Baptiste Pitois. Cet occultiste du XIXe siècle a projeté sur le Tarot le vocabulaire de la cartomancie et de l'alchimie.
C'est ainsi que le terme de "carte" fut progressivement banni et remplacé par celui de "lame", au point même que les ouvrages des taromanciens et tarologues les plus sérieux interdisent désormais à l'amateur de parler de "cartes de Tarot", estimant voir là, un sacrilège.
Ce terme de "lame" renvoie pourtant à une interprétation du Tarot en faveur de l'axe divinatoire dont rien ne prouve qu'il fut celui du Tarot au moment de sa création : il vient de la notion de coupe en jeu dans la cartomancie.
Le mot "lame" contient d'autre part une forme de tranchant qui, nous le verrons est à l'opposé est du message du Tarot qui ne sépare pas mais unifie, qui ne rejette rien, mais au contraire donne place à tout, y compris au jeu, au léger, au divertissement, et ne choisit pas entre deux valeurs contraires, mais au contraire les harmonise.

Les historiens rectifient au demeurant la légende qui court sur le Tarot et qui ferait de lui l'oracle originel. En réalité, la cartomancie existait avant que Court de Gébelin ne découvre le Tarot et, quand il le découvrit, ce fut sous la forme d'un jeu de société qui se jouait dans le salon de Mme d'Helvétius.
C'est donc la cartomancie qui est la mère de la taromancie, et non l'inverse.
C'est en effet cet art de la divination à travers la lecture des cartes de jeux qui influence la dissertation que fit le Comte Mellet sur l'usage divinatoire du Tarot et qui se trouve incluse par Court de Gébelin dans son Monde primitif.
Nous y lisons clairement des interprétations divinatoires sur les Cartes de tarot qui dérivent de celles qu'avait publiées Jean-Baptiste Alliette dit Etteilla quelque temps avant l'écriture du Monde primitif. Par la suite, ce dernier, trouvant sans doute l'interprétation du Comte Mellet intéressante, s'appropria le Tarot et le transforma, pour le rendre plus "égyptien".
Nous devons aussi le terme d'"Arcane" à Jean-Baptiste Pitois - dit Paul Christian - par l'usage d'un terme alchimique qu'il a plaqué sur le Tarot.
Un arcane, en matière d'alchimie, c'est une opération secrète connue de quelques rares initiés dans l'élaboration du grand Oeuvre. S'il y a bien un message hermétique dans le Tarot - car tel est bien celui que nous avons découvert - celui-ci ne doit rien à l'alchimie et qui relève d'une autre tradition centré sur un travail concret sur les métaux.
Diviser le Tarot en Arcanes Majeurs et Arcanes Mineurs est contraire à la doctrine hermétique qui fonde le Tarot
Le défaut majeur de la redésignation opérée par Paul Christian, c'est d'avoir hiérarchisé les Cartes du Tarot.
Qui pourrait bien s'intéresser sérieusement, dès lors, à ce qui est mineur ? Tant de taromanciens, comme l'avait fait lui-même Paul Christian, se contentent des Atouts !
Le vocabulaire employé par Jean-Baptiste Pitois a donc un immense défaut : il divise le Tarot en deux parties et les hiérarchise.
Diviser le Tarot en Arcanes Majeurs et Arcanes Mineurs a eu pour effet d'invisibiliser les Cartes de Cour
En divisant le Tarot en deux parties, il invisibilise une partie essentielle du Tarot : les Honneurs. Dans les Cartes dites "de Couleur", ce qui est le terme exact pour parler de ce que Jean-Baptiste Pitois désigna sous le terme d'"Arcanes mineurs", il y a ce que les joueurs appellent des "Honneurs" appelées aussi "Cartes de Cour" ou encore "Figures", c'est-à-dire les représentants de l'humanité.
Qui peut croire que les humanistes de la Renaissance qui, comme leur nom l'indique, avaient la plus haute idée du rôle de l'humanité dans le monde, auraient pu désigner les Cartes représentant l'humanité par ce terme d' "Arcanes mineurs". Le terme d'"Honneur" des joueurs rend bien mieux ce qui était en jeu pour eux : c'est effectivement une désignation très positive.
Pourquoi revenir à la terminologie originelle ?

Revenir à la terminologie originelle nous permet donc de mettre de côté les usages divinatoires des Cartes de Tarot, de nous tourner davantage vers l'axe initiatique, mais aussi d'interroger le milieu historique de la création de cet étrange jeu à si forte valeur symbolique.
Essayer de retrouver l'esprit qui animait la Renaissance italienne qui a vu naître le Tarot c'est en effet être tout près de se mettre en capacité de comprendre le message du Tarot.
Revenir à la terminologie originelle met l'accent sur les différents types de Cartes en jeu dans le Tarot : ce dernier n'est pas constitué de deux types de Cartes mais de trois : les Atouts, les Cartes de Cour et les Nombres.
Retrouver le vocabulaire originel permet de redonner de la visibilité aux Cartes de Cour et de comprendre qu'elles sont au centre du Tarot, exactement comme la Danseuse cosmique est au centre de l'Atout XXI, LE MONDE. L'une reflète les autres et vice-versa.
Parler de "cartes du tarot" permet aussi, et ce n'est pas négligeable, de dégonfler les prétentions qui ne manquent pas de trouver de quoi se nourrir sur le chemin spirituel : c'est par un jeu et de manière ludique que la destinée hermétique de l'humanité se réalisera. Car le jeu est une activité libre, gratuite, ludique, créative, sociale, et ressourçante.
IV - SE RENSEIGNER SUR LE TYPE DE DOCTRINE SPIRITUELLE QUI IMPRÈGNE L'ESPRIT DE L'ÉLITE DE LA RENAISSANCE
Apprivoiser l'Esprit de la Renaissance italienne
Cette dernière règle est essentielle, même si malheureusement la Renaissance italienne est mieux connue du côté de ses expressions artistiques et pour ses inventions technologiques que du côté de sa philosophie.

Pourtant il y a de grands noms qu'on ne peut oublier, que ce soit Lucas Pacioli et sa Géométrie sacrée dont l'oeuvre principale, La Divine proportion, n'a certainement pas été écrite à Milan entre 1496 et 1498 à la Cour de Ludovic Sforza sans que les créateurs du Tarot n'en ait été informés.
Marsile Ficin est aussi un grand nom qu'on ne saurait négliger si on veut comprendre l'ambiance qui a conduit à la création du Tarot de Marseille. C'est lui qui fit redécouvrir Platon à l'Italie intellectuelle et artistique ainsi que le Corpus Hermeticum arrivé de Constantinople en langue grecque et traduite par ses soins.
Lire ou relire Les Mots et les Choses de Michel Foucault
Pour ceux qui veulent aller plus loin et s'imprégner de l'esprit de la Renaissance en se gardant des préjugés qu'on trouve habituellement sur cette période, ils trouveront un texte précieux : le début des Mots et des Choses de Michel Foucault.

Dans cette archéologie qu'il entreprend des sciences humaines, au chapitre II, intitulé "la prose du monde", il étudie les procédés intellectuels qui supportaient toute l'architecture mentale de la Renaissance.
Car si certes à la Renaissance s'enracinent nos sciences modernes, expérimentales, il serait cependant vraiment dommage de ne voir en elle que le socle fondateur de la modernité. Ce serait surtout une erreur qui rendrait impossible de comprendre le message du Tarot.
La Renaissance était encore enracinée dans une vision médiévale où le merveilleux n'avait pas quitté la Terre. Elle croyait à l'harmonie de tout avec tout. Elle s'enchantait de ce que le Ciel et la Terre ne cessaient de se refléter mutuellement, s'interrogeant sur le rôle de l'humanité au milieu de la Création. La Renaissance ne voulait pas tout soumettre à la raison ce que fera le XVIIe siècle qui allait suivre, elle voulait la parfaite entente entre l'imagination et la raison. Elle n'était pas encore rationaliste. Elle croyait aux forces de l'invisible et de l'esprit.
Voici comment démarre l'inoubliable peinture que fait, dans Les Mots et les choses, Michel Foucault de la représentation du monde qui était celle de l'élite intellectuelle de l'Europe à la Renaissance. Cet état d'esprit que peint Michel Foucault est encore valable ou peut-être même surtout valable au quattrocento, en Italie, à l'époque où selon toute vraisemblance historienne, le Tarot fut créé :
" Jusqu'à la fin du XVIe siècle, la ressemblance a joué un rôle bâtisseur dans le savoir de la culture occidentale. C'est elle qui a conduit pour une grande part l'exégèse et l'interprétation des textes : c'est elle qui a organisé le jeu des symboles, permis la connaissance des choses visibles et invisibles, guidé l'art de les représenter. Le monde s'enroulait sur lui-même : la terre répétant le ciel, les visages se mirant dans les étoiles, et l'herbe enveloppant dans ses tiges les secrets qui servaient à l'homme. La peinture imitait l'espace. Et la représentation - qu'elle fût fête ou savoir - se donnait comme répétition : théâtre de la vie ou miroir du monde, c'était là le titre de tout langage, sa manière de s'annoncer et de formuler son droit à parler."
Le Tarot est l'Objet par excellence dont s'est dotée cette époque pour servir de Miroir où se reflétait pour l'élite de la Renaissance Ciel et la Terre et surtout la vie humaine et, au tarologue attentif, il murmure bien des secrets profonds de la vie .
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