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- LE PLUS ÉNIGMATIQUE DES ATOUTS : LA ROUE DE FORTUNE (accès libre)
LA ROUE DE FORTUNE est l'Atout le plus mystérieux du Tarot et sa signification profonde n'est accessible à l'amateur que s'il en interroge les énigmes. Avant de mettre en lumière ces énigmes et de tenter de les résoudre, commençons cependant par ce qui, dans cette Carte, devait parler, sans recherche particulière, à celui qui la rencontrait à l'époque où le ou les créateur(s) du Tarot en a ou en ont organisé l'expression : LA ROUE DE FORTUNE porte un nom qui, dans sa forme latine de rota fortunae, est une représentation symbolique du destin née en plein Moyen Âge, bien qu'enracinée aussi dans la représentation romaine de la déesse Fortuna. UN PEU D'HISTOIRE : LES ROTAE FORTUNAE MÉDIÉVALES La déesse Fortuna et la roue de fortune, Manuscrit, XVe L'iconographie de l'Atout X reprend aux rotae fortunae médiévale, la présentation de la déesse que les romains appelaient Fortuna et que les artistes du Moyen Âge imaginaient tourner une roue. Fortuna était une déesse de la chance et du destin qui pouvait aussi bien être favorable que défavorable puisqu'elle représentait la force divine en jeu dans tous les aléas de la vie humaine. La fortune est vécue comme une femme capricieuse aux décisions aléatoires et qu'il s'agissait, par des offrandes, de rendre plus favorable. D'après l'historien Jérémy Chaponneau, cette association que les artistes du Moyen Âge faisaient entre la déesse Fortuna et la roue pour former ce qu'on appela "les rotae fortunae" est apparue au XIe siècle, et donc en plein Moyen-Âge. Sur certaines de ces représentations médiévales du destin, des personnages étaient accrochés à la roue, figurant, pour celui qui montait, le fait de bénéficier d'une bonne fortune, c'est-à-dire d'une chance évidente et de tous les hasards heureux de la vie, et pour celui qui se trouvait sur la pente descendante, de subir une suite de malchances et de coups du sorts. On peut cependant s'étonner qu'à l'époque où l'art tout entier était soumis à la religion monothéiste chrétienne, une telle place soit faite à une déesse païenne. Les deux visages d'une Fortuna aveugle La déesse Fortuna et la roue des rotae fortunae médiévales répondaient au sentiment d'injustice que peut représenter une destinée qui, bien que pensée comme obéissant à une décision divine, semble recevoir une distribution aléatoire des sorts heureux et malheureux. Aucune logique ni aucune justice ne vient soutenir la distribution des bons et mauvais sort, ce qui fait que l'homme bon et juste peut souffrir d'une suite de malheurs pendant qu'un homme mauvais peut bénéficier d'une chance éclatante. Ce n'est pas pour rien que la langue française parle, encore de nos jours, des "caprices de la fortune". Une sorte de scandale découle de cette distribution aléatoire du sort de chacun qui s'accorde mal à une représentation religieuse où un dieu omnipotent et omniscient décide de tous les événements. Dès lors, les théologiens monothéistes ont dû proposer le rétablissement d'une cohérence, et cela, dès le commencement du monothéisme. LES MALHEURS DE JOB ET LE SCANDALE QU'ILS REPRÉSENTENT Alors que la déesse Fortuna des latins admettait le caractère capricieux et aléatoire de la vie - la sagesse consistant alors pour les philosophes latins et particulièrement les stoïciens, dans le fait de bien supporter les malheurs et de rester modeste et calme dans les moments de bonheur et de gloire -, la croyance religieuse monothéiste qui repose sur la notion de providence se doit de résoudre le scandale que représente les malheurs du juste : comment, en effet, un Dieu intégralement bon, omnipotent et omniscient pourrait-il faire pleuvoir les bénédictions sur le méchant et l'impie tandis que ce sont des malheurs que souvent supporte la bonne personne ? D'où le récit de Job et l'explication qu'il propose de cet apparent scandale. Job raillé par son épouse de Georges de la Tour Job était en effet un homme bon et pieux qui se trouva, à un moment donné de sa vie, confronté à une suite de calamités. Lui qui avait sept fils et trois filles perd tous ses enfants ; lui qui était très riche voit toute sa richesse fondre au point de tomber dans la plus grande pauvreté ; et enfin, lui qui avait une santé florissante, est tombé très malade. Le peintre Georges de la Tour a même imaginé, dans une misogynie des plus classiques et que la Bible suggère, le pauvre Job rencontrant un dernier malheur : il se vit raillé par sa propre épouse. Dans la bible, il est vrai, cette épouse exprime son exaspération devant les malheurs d'un époux si bien qu'elle lui conseille de maudire Dieu et de mourir. Si Job avait appartenu à une société païenne, tout le monde autour de lui aurait pensé qu'il n'était pas aimé par la déesse Fortuna. Personne n'aurait pas cherché de raisons au-delà de ce désamour, et on lui aurait conseillé - pour sortir de ce mauvais pas - d'aller faire quelques sacrifices dans un des temples de la déesse ou encore de consulter un astrologue pour connaître à quel moment de sa vie cette descente aux enfers allait se terminer. Mais Job appartenait à un monde engagé dans le monothéisme où il était impossible d'imaginer le Dieu unique faire des caprices et traiter de manière aléatoire les destins des êtres humains. Tous ses voisins et amis et même sa femme ont donc interprété ce malheureux destin de Job comme la conséquence d' un péché caché , honteusement secret, et qui, seul, justifierait un tel traitement destinal. Selon le récit même qu'en fait la Bible, tous considéraient les malheurs de Job comme l'expression d'une punition divine. Une telle interprétation sociale qui transformait le malheur en châtiment divin ne pouvait qu'ajouter une nouvelle cause de souffrance dans cet accablement qui pesait sur un Job qui, pourtant est, par ailleurs, présenté comme particulièrement pieux et vertueux. Il était évident que ce type d'explication devait être remplacée par une autre plus charitable. La bible hébraïque réfute en effet cette interprétation facile qui considère tout malheur comme un châtiment divin. Elle considère donc le cas de Job comme une mise à l'épreuve qui est particulièrement destinée à frapper les justes et les pieux. Car la foi pour être authentique ne doit en rien ressembler à une sorte de marché passé avec le divin et en tant qu'assurance sur l'avenir. Aussi le récit biblique va-t-il donner un autre sens à ce scandale et à cet impensable qu'est la vie malheureuse de l'homme juste : c'est Satan, l'ange de l'accusation qui, voyant Job si pieux et si honnête, a demandé à Dieu l'autorisation de tester la profondeur de sa foi le véritable fondement de ses vertus... en le confrontant à une suite de malheurs. Job allait-il rester aussi pieux et juste ou allait-il se décourager et se détourner de Dieu ? Que vaut, pensait, en effet un Satan manifestement philosophe, la parfaite rectitude d'un homme qui, du fait même de cette rectitude, est comblé par la vie ? N'y a-t-il pas là quelque chose de l'ordre du calcul et du marché qui annulerait la valeur intrinsèque de la rectitude ? Satan, dont on oublie souvent qu'il est un Serviteur divin au sein même de l'imaginaire monothéiste initial, obtint donc l'autorisation de Dieu de faire pleuvoir les malheurs sur Job. Le récit biblique sur la vie de Job transforme donc le caractère à la fois capricieux de Fortuna et le scandale éthique que représentent les malheurs de l'homme juste et bon, en une série d'épreuves envoyées par Dieu tout particulièrement aux bonnes personnes, afin qu'elles puissent découvrir, en elles-mêmes, la profondeur de leur foi et leur attachement à la vertu. Mais ces épreuves... doivent n'être que temporaires. Il faut qu'à un moment donné la justice, la vertu et la foi se trouvent réunies au bonheur, fusse comme l'avait compris le philosophe Kant, dans l'au-delà. Comme dans la croyance hébraïque originelle, il n'y avait pas place pour l'au-delà, il était impossible que Job mourut méprisé de tous, pauvre et malade. Ayant triomphé de l'épreuve de Satan, il vécut la suite de sa vie riche et entouré de nouveaux enfants. Ce faisant, et bien qu'appartenant à l'univers monothéiste, l'histoire de Job s'inscrit dans une vision de la vie humaine où alternent bonheur et malheur, ce qu'illustre à merveille la rota fortunae médiévale. LA ROUE ASTROLOGIQUE ET L'HERMÉTISME DE L'ANTIQUITÉ Roue zodiacale, mosaïque antique De leur côté et bien que, dans leur vision des rapports de l'humanité à la vie, ils faisaient place au caractère purement aléatoire des événements, les païens avaient développé une représentation du monde où, en quelque sorte et de manière nécessaire... après la pluie revient toujours le beau temps et vice versa. Il y avait dans cette alternance, une cyclicité qui a certainement joué un rôle dans l'élaboration de ce concept médiéval de rota fortunae . La représentation astrologique d'une destinée inscrite, dès la naissance, par un jeu de miroir entre le Ciel et la Terre, relève de l'hermétisme alexandrin qui inspire en outre profondément le Tarot. En tant que Livre en image de la doctrine hermétiste telle qu'elle avait resurgi à la Renaissance à travers une inflexion chrétienne, le Tarot faisait place à cette conception païenne et astrologique de la relation humaine à la fortune, une relation confrontée à la cyclicité. La rota fortunae du Tarot doit certainement beaucoup au postulat hermétiste selon lequel monde cosmique et astral d'une part et monde terrestre et humain d'autre part obéissent aux mêmes cycles. C'est ce que résume le début de la fameuse Table d'Émeraude que les lettrés du Moyen Âge connaissaient tous et qui concentre l'essentiel de la doctrine hermétiste : "ce qui en bas est comme ce qui est en haut, et ce qui est en haut est comme ce qui est en bas, pour faire les miracles d'une seule chose ". Bien que l'astrologie soit antérieure à l'hermétisme alexandrin, ce dernier avait intégré les spéculations des astrologues babyloniens et chaldéens à sa propre vision du monde. Le postulat selon lequel ce qui se vit sur Terre est le reflet des aventures céleste permettait d'une part trouver des raisons logiques à ce qui semble n'en avoir aucun dans les notion de destinée, de chance et de malchance et, d'autre part, donnait à l'humanité les moyens d'infléchir, du bon côté, les destinées individuelles et collectives. Le destin des êtres humains apparaissait comme un phénomène semblable à celui des saisons. Par cette communauté de destin qui existe entre le Ciel et la Terre, chacun devait être amené, dans sa vie, à connaître des périodes fastes et des périodes difficiles, les unes succédant aux autres, en suivant les configurations du ciel astral. En jouant sur la connaissance de la carte du Ciel telle qu'elle existe au moment de la naissance d'un individu et en la mettant en relation les relations astrales du moment, l'astrologue hermétiste affirmait être capable de connaître, à l'avance, les bonnes périodes et les mauvaises périodes de la vie de chacun, faisant donc des prédictions, conseillant ses consultants dans leurs entreprises, révélant les heures propices ou au contraire défavorables pour se lancer dans telle ou telle aventure. Il est bien évident que LA ROUE DE FORTUNE du Tarot de Marseille est l'héritière à la fois du fondement métaphysique des roues astrologiques antiques et du besoin éprouvés par le monothéisme de justifier, d'une façon ou d'une autre et à l'intérieur d'une représentation du réel portée par la vision d'un dieu bon et providentiel, le scandale que représentent le malheur de l'homme juste et le bonheur du méchant - ce que les latins attribuaient à la capricieuse déesse Fortuna -. Mais certaines rotae fortunae médiévales ont ajouté une autre dimension, une dimension morale et politique qui s'est traduite par l'animalisation partielle ou complète des êtres humains qu'on retrouve dans le Tarot. Connaître le sens symbolique des rotae fortunae médiévale peut-il nous aider à décrypter le sens des personnages en jeu sur la rota fortunae du Tarot ? LES ROTAE FORTUNAE MÉDIÉVALES ET LEUR SIGNIFICATION MORALE ET POLITIQUE Rota Fortunae, dans Des Cas des nobles hommes et femmes de Jean Boccace (XIVe) Si le Moyen Âge, hautement théologique et religieux, a inventé cette notion, remarquable sur un plan symbolique, de la rota fortunae , ce n'est évidemment pas parce que ses artistes revenaient à la notion païenne d'une déesse capricieuse dont il aurait fallu flatter la bienveillance. Pour autant, les artistes du Moyen Âge ne se situaient pas non plus dans une reprise de l'interprétation biblique des malheurs de Job et qui fait de ces derniers une grande épreuve de la foi et de la vertu. La visée médiévale était moraliste et l'animalisation de l'humanité avait pour fin d'illustrer les risques que font peser les aléas de la vie sur ceux qui bénéficient de la chance et du succès, et plus encore sur ceux qui se trouvent dans des situations de pouvoir, quand, au contraire, les aléas douloureux de la vie se révèlent comme ayant une fonction de purification. Si le Moyen Âge fait intervenir une forme d'animalisation de l'humanité sur ses rotae fortunae , c'est parce que, selon l'interprétation propre à cette époque, était en jeu, dans les aléas de la fortune, l'humanité même des êtres humains. Dans l'enluminure qui inaugure Des Cas des nobles hommes et femmes de Boccace où le florentin présente les moments importants de la vie des nobles - on voit une animalisation du haut du corps de celui qui s'élève sur la roue de la fortune. Cette animalisation a totalement envahi celui qui règne au sommet de la roue. Puis, elle disparaît en partie chez celui qui redescend et, enfin, elle a totalement disparu chez celui qui est allongé tout en bas et qui retrouve un corps totalement humain. Le message était clair : la chance, les facilités de la vie, la bonne fortune tendent à diminuer l'humanité de l'humanité, et il n'en reste quasiment rien hormis la posture quand on se trouve durablement au sommet de la société. Au contraire, la mauvaise fortune permet à celui qu'elle accable de retrouver peu à peu une humanité qui n'est cependant complète que tout en bas, quand il subit durablement le mépris de la société et les épreuves de la vie que sont par exemple les deuils, la ruine, et les maladies. Ce qui ressort donc de cette interprétation médiévale de la rota fortunae , c'est le sens nouveau que prennent bonheur et malheur, un sens qui est en rupture avec toutes leurs interprétations antiques, qu'elles soient païennes ou monothéistes : le malheur au Moyen Âge n'apparaît plus comme le produit d'une déesse païenne capricieuse qu'il s'agirait de mettre de son côté par des prières ou des offrandes, ni comme une épreuve voulue par Dieu pour tester la foi des justes, ni non plus comme l'expression d'un châtiment pour quelques fautes passées. Il apparaît comme ayant une fonction éducative et purificatrice, tandis que le bonheur se révèle comme possédant une fonction abrutissante au premier sens du terme. Rien ne rend l'humanité plus bête, selon l'illustration qui préside l'oeuvre de Boccace, que de vivre une vie particulièrement chanceuse, comme c'est le cas, souvent, des membres des familles princières qui régnaient dans l'Italie morcelée de l'époque où le Tarot allait, un siècle plus tard, être créé, tandis qu'à l'inverse, le malheur ou mieux encore une suite de malheurs rend l'humanité à ce que aurait lui dû être inaliénable : sa propre humanité, c'est-à-dire, ses capacités compassionnelles, son éthique, sa bonté. Dans les rotae fortunae médiévale où l'humanité s'animalise ou s'humanise en fonction du statut social, c'est la dureté du coeur qui est dénoncé ainsi que le fait qu'elle accompagne presque nécessairement tout statut élevé au sein de la société. Au contraire, les rotae fortunae médiévales témoignait du fait surprenant au premier regard seulement qu'un revers de fortune peut rendre plus compatissant en face des souffrances d'autrui. Les rotae fortunae médiévales avaient donc une signification à la fois morale et politique. Il faut en effet avoir le coeur endurci pour supporter les très grandes inégalités sociales qui accompagnaient les hiérarchies sociales et politiques de l'époque, et voir par la fenêtre et sans en être affecté, des miséreux mourir de la faim tout en continuant à festoyer... Et puisqu'en haut de la roue, c'est un animal qui règne, presque un démon, elles s'inscrivaient aussi dans une critique du pouvoir et de sa tendance à corrompre ceux qui en bénéficient. La Rota Fortunae, illustration d'A. Dürer dans La Nef des fous de Sébastien Brant Deux siècles après Boccace, Dürer a repris l'illustration de la rota fortunae par cette transformation des êtres humains en animaux, mais cette fois, la roue tourne dans l'autre sens. C'est cependant toujours la même idée qui est en jeu : le personnage de droite qui monte est en voie d'abrutissement, tandis que celui de gauche, qui descend, reprend visage humain. Sur la roue de Dürer, c'est aussi un animal qui là encore est tout en haut, et il est clairement identifiable : il s'agit d'un âne, le symbole de la bêtise humaine. De fait, dans La Nef des fous , qu'illustre la roue de Dürer, Sébastien Brant dédie chacun de ses poèmes à la folie qui règne dans la société des hommes de son temps. La rota fortunae qui accompagne ses poèmes satyriques se moque donc de ceux qui se fient à la chance et au hasard pour mener leur vie et particulièrement des puissants de ce monde qui sont appelés, par leur destin singulier, à gouverner les peuples. La gloire risque d'être brève, les met-elle en garde, et la chute peut venir rapidement et durer un bon moment. Mais surtout, c'est leur propre humanité qui est en jeu. D'où ces conseils que cette illustration de la roue du destin distille : les grands de ce monde doivent apprendre à devenir plus humble, à obéir à la raison et à gouverner avec amour et tolérance, et cela sur le modèle du Christ. Alors, peut-être seront-ils autre chose que des ânes... La roue de Dürer, d'autre part, a fait disparaître le personnage tout en bas et avec lui le seul être humain qu'on trouvait entièrement humanisé dans la roue de Boccace. Cette disparition est aussi en jeu dans la rota fortunae du Tarot et en décrypter la signification symbolique est donc nécessaire. Tout se passe alors comme si, pour Dürer, ainsi que pour le Tarot, la pleine humanité de l'humanité restait inaccessible tant qu'on l'attend de la bonne ou mauvaise fortune. Ni Dürer ni le créateur du Tarot ne semblent encore croire au fait que les malheurs peuvent creuser en chaque être humain toutes les vertus nécessaires à l'épanouissement de leur humanité. Dürer était un initié en matière d'hermétisme et, pas plus que pour le créateur du Tarot, il n'attendait des seuls malheurs la pleine réalisation de l'humanité, se contentant d'agréer à la critique médiévale de la dureté du coeur et de la bêtise que la haute naissance ou l'heureuse fortune tendent à générer ou à aggraver. DEUX ANIMAUX EN HABIT ET UN MYSTÉRIEUX GARDIEN DU SEUIL L'Atout X dans le Tarot Camoin-Jodorowski Maintenant que nous avons replacé l'iconographie de l'Atout X dans son contexte historique, nous comprenons que la rota fortunae qu'on y trouve n'a pas le même sens que celui, de nature morale et/ou politique, que mettent en scène les rotae fortunae médiévale ou plus tardives. Si, comme dans la rota fortunae de Dürer, la personne humaine qu'on trouvait dans le bas de la roue illustrant l'oeuvre de Boccace a disparu de la roue du Tarot, cette dernière se distingue de toutes les autres rotae fortunae par le fait qu'aucun de ses personnages ne possède un corps humain ou une partie du corps humain. Dans le Tarot, les différences qui existent entre l'animal qui monte et celui qui descend ne relèvent que de la symbolique animale et non de l'analyse morale et politique. C'est que le sens que possède la rota fortunae tarologique n'est ni religieux, ni moral, ni politique. Il est hermétique. La suite, ici ...
- LES ÉNIGMES DE TEMPÉRANCE (accès libre)
TEMPÉRANCE DU Tarot Conver, Éditions d'Yves Reynaud TROP D'INTERPRÉTATIONS LAISSENT DE CÔTÉ LES ÉNIGMES DE TEMPÉRANCE TEMPÉRANCE est sans doute l'Atout le moins compris du Tarot, celui qui induit le plus d'erreurs d'interprétations. TEMPÉRANCE du grand Tarot universel de Bruno de Nys Voici les mots-clés que présente, à propos de l’Atout TEMPÉRANCE, Bruno de Nys, dans Le Tarot, Méthode complète, l'un des ouvrages de référence pour les taromanciens amateurs : la communication , le repos , les vacances , la fraternité . Si la communication et la fraternité sont des interprétations incontestables de cet Atout, ces notions étant portées, sur l'iconographie, par les flux des vasques qui s’écoulent dans les deux sens, ce qui induit bien l’idée d’un partage d’informations ainsi que la notion de réciprocité, en revanche... les notions de repos et de vacances... Sans doute faut-il attribuer cette interprétation en partie à la forme très ondulante du corps de l’ange et des douces collines en arrière-plan. Cette souplesse a probablement suscité en Bruno de Nys l'image de la plage, du sable, du bord de mer et des ondulations des vagues venant se glisser sur le sable, et cela même si Bruno de Nys a préféré situer son interprétation de l'Atout dans un paysage bucolique. L'iconographie, par sa douceur, emmène souvent les projections taromanciennes du côté du farniente, du temps détendu, du loisir, mais aussi du fait de cet ange qui semble tellement proche - après tout, il s'est posé sur le sol - du côté de la protection. Heureusement, les fluides s'échangeant entre les vasques et le nom de TEMPÉRANCE conduisent aussi du côté de la communication, de l'équilibre des fluides, et de la juste mesure. Ce qui est mis en avant, alors, c'est la notion de tempérance, cette vertu de la juste mesure entre deux excès, et à juste titre, car le flux des vasques évoque incontestablement l'idée de "mettre de l'eau dans son vin" qui est associée depuis toujours à cette grande vertu cardinale. Souvent aussi, on entremêle les discours : La tempérance, cette vertu classique des philosophes de l'Antiquité, devient, sous la houlette de l'imaginaire chrétien, une sorte d'ange personnel qui veille à ce que chacun se comporte en maîtrisant impulsions et passions, au profit d'une attitude raisonnable et apaisée... De ce fait aussi, TEMPÉRANCE est souvent donné comme l'Atout de la guérison... Ces interprétations classiques de TEMPÉRANCE, sans être fausses, car elles sont enracinées dans une iconographie longuement explorée, laissent derrière elles, sans jamais s'y attarder, les singularités que cet étrange Atout manifeste. Or, ce dernier n'en manque pas, et savoir s'en étonner permet de relancer l'interprétation et peut-être de mieux saisir ce que les créateurs du Tarot ont voulu faire passer, comme message. TEMPÉRANCE ne peut être compris si l'on n'affronte pas ses énigmes. En voici les trois plus visibles, même si elles sont au nombre de cinq : -Pour quelle raison, par exemple, les créateurs du Tarot ont-ils abandonné l'article "la" dans la désignation de TEMPÉRANCE, faisant de cette désignation une exception au sein des Atouts ? -Pourquoi le Nombre XIIII s'écrit-il ainsi et non XIV, comme il s'écrivait déjà partout en Europe à l'époque où fut créé le Tarot, c'est-à-dire au XVe siècle ? -Pourquoi l'ange de TEMPÉRANCE est-il au sol, ne vole-t-il pas et ne rayonne-t-il pas, contrairement aux autres anges du Tarot et qu'on trouve dans L'AMOUREUX, dans le JUGEMENT et dans LE MONDE ? SAVOIR S'ÉTONNER DE TOUTE SINGULARITÉ ET SE SOUVENIR DE L'HISTOIRE DE LA RENAISSANCE L'amateur du Tarot doit commencer par regarder avec attention ce qui s'offre à ses yeux en se gardant de toute précipitation. Chacune des anomalies ou des singularités devient pour lui une énigme. Marsile Ficin, l'un des potentiels créateurs du Tarot dit de Marseille Le Tarot a été créé par au moins un artiste de la Renaissance italienne qui était aussi un hermétiste et que vivant à une époque où l'Église catholique commençait à se sentir menacée par d'importantes contestations qui allaient ensuite se cristalliser dans le protestantisme avec Luther. L'Inquisition, la police religieuse de Rome, menaçait alors tout ce qui sortait des postures dogmatiques qu'elle cherchait à assurer. Elle avait ainsi inquiété Marsile Ficin qui fut accusé de sorcellerie par le pape Innocent VIII et échappa de peu aux violences qui se déchaînèrent ensuite sur d'autres penseurs hétérodoxes comme ce fut le cas pour Giordano Bruno, brûlé vif en 1600. Or, un faisceau d'hypothèses historiennes font de Marsile Ficin, sinon le créateur du Tarot de Marseille, du moins l'un de ses plus importants inspirateurs. Lorsqu'une iconographie du Tarot diverge beaucoup des présentations classiques de tel ou tel symbole, quand l'écriture de telle désignation diverge de ce qui se faisait à l'époque, ou quand encore il manque quelque chose d'attendu à un Atout... Il faut en être sûr, les créateurs du Tarot ont voulu transmettre un message spécifique. Toute anomalie doit donc être explorée, car n'en doutez pas, les membres de l'élite artistique et intellectuelle de la Renaissance italienne qui sont à l'origine de la création du Tarot n'ont pas fait d'erreurs : une singularité, au sein d'un ensemble bien ordonné, est toujours un indice volontairement laissé sur la route de l'amateur pour que ce dernier soit capable de retrouver la clé qui lui permettra d'ouvrir le Livre du Tarot et de comprendre la signification symbolique de telle ou telle image. LES CINQ ÉNIGMES QUE COMPORTE TEMPÉRANCE L'ange dans l'Atout XXI Les singularités qui se présentent à l'amateur du Tarot en face de Tempérance sont au nombre de cinq : En plus des trois énigmes citées précédemment, il faut ajouter ces deux autres : - La quatrième énigme est engendrée par la place de TEMPÉRANCE au sein du Tarot : l'Atout XIIII précède LE DIABLE, de Nombre XV. Cela signifie explicitement que, pour le ou les créateur(s) du Tarot, la sagesse et la spiritualité du DIABLE sont supérieures à celle de l'ange que présente TEMPÉRANCE, ce qui ne peut manquer de heurter la hiérarchie classique que les religions monothéistes accordent à ces êtres appartenant à la mythologie religieuse. - La dernière énigme réside dans l'étrange mouvement des flux qui se déversent d'une vasque à l'autre sur l'iconographie. Énigme souvent remarquée, au contraire des autres énigmes, elle a généralement été résolue par l'ensemble des tarologues et taromanciens. Résoudre les énigmes de TEMPÉRANCE a le plus souvent pour condition de replacer TEMPÉRANCE dans l'Organisation holistique du Tarot de Marseille et dès lors tant dans la troisième Main du Tarot qu'au sein de la quatrième Verticale des Atouts. L'ABSENCE D'ARTICLE : TEMPÉRANCE EST LE TEMPS DE L'ERRANCE L'étrange absence d'article dans la désignation de TEMPÉRANCE Pour quelle raison, le ou les créateur(s) du Tarot de Marseille a-t-il jugé bon d'enlever l'article "la" dans la désignation du personnage principal de l'Atout ? Répondre à cette énigme n'est possible que lorsqu'on a accès à l'Organisation des Atouts en quatre Mains : TEMPÉRANCE n'est pas que l'expression de la quatrième vertu cardinale présente dans le Tarot, c'est aussi l'image d'une des grandes épreuves de l'humanité, car tel est le sens des cinq Atouts de la troisième Main du Tarot. ET cette épreuve est soulignée par le mot de TEMPÉRANCE du moment qu'on entend la langue des oisons en usage chez les hermétistes et alchimistes des temps passés : TEMPÉRANCE c'est le temps de l'errance... Le fait que le Créateur du Tarot ait ôté l'article est en lien au fait que grâce à cette absence, on entend "temps-errance". Le langage des oisons laisse alors entendre son message : TEMPÉRANCE est le temps de l'errance ( terme venu du latin "errare" : se tromper) et non le temps des vacances. L'errance n'est pas une simple erreur, et TEMPÉRANCE ne met pas en scène une épreuve courte et rapidement dépassée. C'est un temps long. C'est une erreur qui dure et qu'il n'est pas aisé de dépasser. Si cette erreur que représente toute errance est destinée à durer, c'est pour la bonne raison que cela ne ressemble pas à une erreur aux yeux de celui qui se trompe. Il est dans une illusion durable. De quelle épreuve et de quelle erreur destinée à durer dans un temps long s'agit-il avec TEMPÉRANCE ? Là-dessus c'est l'iconographie qui nous permet de répondre. Nous rejoignons-là, la troisième énigme de TEMPÉRANCE. Pour aller plus loin... C'est ici .
- LE MAT : ATOUT OU HONNEUR ? (accès libre)
LE MAT du Tarot Conver, Éditions Yves Reynaud LE MAT est un Atout très énigmatique. Aussi, peut-être l'avez-vous rencontré en parcourant la catégorie " les énigmes du tarot ". Si ce n'est pas le cas, nous vous invitons à lire l'article RÉSOUDRE LES ÉNIGMES QUE POSE LE MAT ici . Vous y trouverez de précieuses indications, d'une part pour sortir de certaines impasses classiques au niveau de ses interprétations, et d'autre part pour commencer à cerner le sens de cet Atout. Vous pouvez aussi lire une présentation succincte de la doctrine hermétique ici . La lecture de ces deux posts vous donnera quelques clés essentielles pour comprendre pourquoi le MAT est l'Atout sans Nombre, pourquoi il est l'Atout complémentaire du MONDE, et pourquoi, de ces deux faits, il se situe hors de la structure en quatre fois cinq que forment les quatre Mains et les cinq Verticales du Tarot. LES CARACTÉRISTIQUES ESSENTIELLES DU MAT LE FOL du Tarot Jean Dodal (1701-1715) LE MAT a pour première caractéristique de ne pas avoir de Nombre. Sur la vignette en haut de la Carte où sont inscrits tous les Nombres dans les Atouts, il y a un vide. Cela représente une énigme que nous avons résolu ici , mais dont voici nos conclusions : LE MAT ne peut pas avoir de Nombre inscrit, tout simplement parce que le zéro n'existe pas en chiffres romains. L'écriture choisie des Nombres dans le Tarot rendait donc impossible d'inscrire le zéro dans la vignette du MAT. La seconde expression majeure du MAT, c'est le caractère désordonné, voire chaotique de ce qu'exprime le personnage : le baluchon est porté par la mauvaise épaule ; le coude est tourné vers le devant ; on ne parvient pas à distinguer la chevelure de la coiffe, le pantalon porte la couleur chair tandis que la jambe qui est dessous porte la couleur verte d'un vêtement. Les couleurs sont donc inversées. La troisième caractéristique de la Carte c'est le caractère vif du mouvement que, systématiquement, tous les interprètes soulignent. Ce caractère vif dans la marche en avant s'accompagne de la couleur rouge qui est celle du bâton de marche et des chaussures, accentuant le caractère vivace de cette impression de mouvement. La quatrième caractéristique de la Carte c'est que le personnage principal n'est pas seul. Il est accompagné d'un animal dont on ignore s'il s'agit d'un chien ou d'un chat, Court de Gébelin y voit un tigre, et si cet animal est amical ou agressif. Peut-être simplement est-il en train de pousser LE MAT un peu plus en avant, ce qui irait bien avec les remarques précédentes portant sur le mouvement vif de la marche du personnage. La cinquième caractéristique, c'est l'environnement naturel du MAT. Cet environnement naturel ne se retrouve qu'avec, en partie seulement LE BATELEUR, LA ROUE DE FORTUNE du fait de sa représentation d'un fleuve, LE PENDU, l'ATOUT XIII, tempérance, puis tous les Atouts cosmiques jusqu'au JUGEMENT. Une avant-dernière caractéristique du MAT, c'est son étrange dénomination qui représente une énigme. Vous en trouverez la résolution si vous ne l'avez pas déjà là, sur le post précédemment cité et accessible aussi ici. Enfin, la dernière caractéristique réside dans le fait qu'il est l'Atout complémentaire du MONDE : si on additionne le zéro et le Nombre XXI, on arrive à XXI. Cette notion de complémentarité est essentielle dans le Tarot. Cette importance s'enracine dans le rôle que joue la contradiction et l'opposition au sein de la doctrine hermétique. Les créateurs du Tarot ont voulu inscrire cette complémentarité dans les Atouts du Tarot. Ainsi, chaque Atout a son Atout complémentaire, et l'addition des deux Nombres mène au XXI, Nombre de l'Unité de toutes choses. La complémentarité des Atouts transforme donc l'opposition et la contradiction en unité harmonieuse de deux membres qui se complètent mutuellement. Ainsi, le I a pour complémentarité le XX et en termes d'Atouts cela signifie que LE BATELEUR et LE JUGEMENT sont destinés à se lier l'un à l'autre malgré leur apparente contradiction. Comprendre que LE MAT et LE MONDE sont complémentaires, c'est avancer à grand pas vers l'Organisation holistique du Tarot de Marseille. LA COMPLÉMENTARITÉ DU MAT ET DU MONDE Toute complémentarité démarre par une opposition. Seul ce qui est à l'opposé de sa propre réalité peut être son complément. Or, l'opposition du MAT et du MONDE saute aux yeux. C'est peut-être l'opposition la plus visible entre toutes celles que met en scène l'Organisation holistique du Tarot de Marseille : LE MAT est le plus désordonné et chaotique des Atouts, LE MONDE est le plus ordonné et le plus gracieux des Atouts. LE MAT avance à grands pas vers la droite, montrant l'investissement mental de l'avenir, alors que si la Danseuse du MONDE est en mouvement, c'est en restant bien centré marquant une intense présence dans l'instant, symbole d'éternité. Les rapports entre LE MAT et l'animal qui le suit à gauche ne sont pas clairs, et sans doute pas très faciles, alors que les animaux du MONDE sont à leur exacte place, protecteurs et bienfaisants. LE MAT est très habillé bien que n'importe comment, la Danseuse du MONDE est nue. Une fois posée l'opposition, reste à savoir comment elle se résout en complémentarité ce qui est le but hermétique par excellence. C'est la structure holistique du Tarot de Marseille qui donne les clés de cette transformation : LE MAT contient en potentiel la totalité du MONDE et son ordre. LE MAT PRÉCÈDE ET APPELLE LES QUATRE MAINS ET LES CINQ VERTICALES DU TAROT PENDANT QUE LE MONDE LES CONTIENT La suite se lit ici .
- LA PAPESSE, Atout II (accès libre)
LA PAPESSE (Tarot Conver, Éditions Yves Reynaud) Une bonne part de la présentation de LA PAPESSE a été abordée dans la catégorie : les énigmes du Tarot. Ce post doit donc être complétée par la lecture du post qui lui a été consacré : ici et, pour ceux qui ont pas pris d'abonnement, là . LES CARACTÉRISTIQUES DE LA PAPESSE LA DÉSIGNATION de LA PAPESSE place d'emblée le Tarot dans une posture très iconoclaste au regard des hiérarchies religieuses de l'Église de Rome qui ne contient que des hommes : il n'y a pas de prêtresses depuis l'Antiquité, et encore moins de papesse. LA PAPESSE présente la femme qui, au sein du Tarot, est la plus recouverte de vêtements et elle porte une coiffe accompagnée d'un voile. Tarot Jodorowsky-Camoin Sur les genoux de LA PAPESSE, un livre ouvert. Derrière LA PAPESSE, une sorte de drap, de tissu, s'enroule sur lui-même comme s'il était aussi un grand parchemin. Sur la coiffe de LA PAPESSE, trois couronnes et des sortes de cornes. Sur le ventre de LA PAPESSE, deux bandes croisées. LA PAPESSE appartient à la première Main du Tarot et démarre la Verticale des II. L'Atout complémentaire de LA PAPESSE est LE SOLEIL, elle appartient à la Croix de Complémentaires où sont en jeu aussi, L'ÉTOILE et L'EMPEREUR. RENOUER AVEC LEURS PRÊTRESSES ET LE FÉMININ SACRÉ Constantin Hölsche, Dans le temple de Vesta , 1902 LA PAPESSE fait suite au BATELEUR. D'emblée, cette place dans le Tarot, questionne : LA PAPESSE est placée bien avant LE PAPE qui est, en revanche, l'Atout le plus puissant de la première Main du Tarot. Le simple fait de son existence dans le Tarot fait de cette femme un équivalent féminin du PAPE, ce qui situe le Tarot à distance de la représentation très patriarcale du pouvoir religieux tel qu'il existe depuis toujours dans l'Église de Rome : le Tarot rappelle qu'il y a une dimension du sacré qui appartient aux femmes et qui n'appartient même qu'à elles. Les créateurs du Tarot ont donc donné un rôle sacerdotal suprême, à une femme. LA PAPESSE représente, comme c'est le cas pour LE PAPE au regard des prêtres, la prêtresse la plus élevée dans la hiérarchie du clergé féminin. Il y avait bien une légende qui avait cours au Moyen Âge déjà à propos d'une papesse du nom de Jeanne et qui aurait accédé à la dignité de pape en se faisant passer pour un homme. Mais ce n'est qu'une légende dont aucun historien n'a jamais pu prouver l'existence. En outre, croire que le Tarot fait référence à cette légende serait une erreur : la papesse Jeanne, si tant est qu'elle ait existé, était un travesti qui dirigeait le clergé masculin, et non cette première des prêtresses que représente LA PAPESSE dans le Tarot. LA PAPESSE et LE PAPE encadrent le couple impérial ce qui signifie que LA PAPESSE est probablement la directrice de conscience de L'IMPÉRATRICE, comme LE PAPE est le directeur de conscience de L'EMPEREUR. Nous avons-là, une des plus importantes clés qui peuvent conduire l'humanité à la réalisation suprême que représente le MONDE, c'est-à-dire à l'Unité finale : le Tarot affirme que l'humanité doit retrouver le Féminin sacré. Si l'humanité reste déséquilibrée, en matière de sacralité, en seule faveur des figures masculines, elle ne peut pas s'accomplir dans le sens de l'unité que symbolise l'Atout XXI. Avant de parvenir à l'Unité que symbolise le I, il faut en effet commencer par reconnaître la dualité dont est faite notre réalité. Et c'est précisément pourquoi le Tarot inaugure cette dualité en matière de sacralité par le personnage qui fut littéralement gommé par la religiosité monothéiste et patriarcale : la grande sacrificatrice, la Femme qui était à la tête des prêtresses, LA PAPESSE. LA PAPESSE OU LA GRANDE PRÊTRESSE ? La Grande Prêtresse, redessinée par Court de Gébelin Lorsque Court de Gébelin découvrit le Tarot de Marseille et la puissance de ses représentations symboliques, il fut rapidement persuadé que ce nom de « PAPESSE » avait pour origine la maladresse ou l'esprit malin de cartiers allemands qui se seraient en quelque sorte moqués du Pape en lui attribuant une compagne. Le jeu de Tarot dont il reconnut l'importance symbolique et dont il fut le grand promoteur au XVIIIe siècle devait donc être, selon lui, "corrigé" de ses erreurs, expurgé de ce mauvais esprit protestant ou de l'ignorance des cartiers. L'une de ses rectifications a consisté à rebaptiser l'Atout II de "LA PAPESSE" en "LA GRANDE PRÊTRESSE" au sein de la présentation qu'il fit de l'Atout II dans Le Monde primitif. En référence aux prêtresses égyptiennes, il la présente comme le complément féminin du GRAND-PRÊTRE autrement du PAPE rebaptisé lui aussi par par la même occasion : Le N° V. représente le CHEF des Hiérophantes ou le GRAND-PRÊTRE : le N° II. la GRANDE-PRÊTRESSE ou sa femme : On sait que chez les Égyptiens , les Chefs du Sacerdoce étaient mariés. Si ces Cartes étaient de l’invention des Modernes, on n’y verrait point de Grande-Prêtresse, bien moins encore sous le nom de PAPESSE, comme les Cartiers allemands ont nommé celle-ci ridiculement. / La Grande-Prêtresse est assise dans un fauteuil : elle est en habit long avec une espèce de voile derrière la tête qui vient croiser sur l’estomac : elle a une double couronne avec deux cornes comme en avait Isis : elle tient un Livre ouvert sur ses genoux ; deux écharpes garnies de croix se croisent sur sa poitrine et y forment un X. (...)" Pour ceux qui s'interrogent sur le sens de cette référence à la nationalité allemande des cartiers du Jeu de Tarot que fait Court de Gébelin, rappelons en effet qu'après avoir émigré de l'Italie de la Renaissance à la France de François 1er, le Tarot a poursuivi sa route et voyagé en Europe occidentale. Au fil des deux siècles qui nous ramènent de sa création à Milan à sa découverte en France par Court de Gébelin, les joueurs français s'en étaient apparemment lassés, tandis qu'en Allemagne, au contraire, la mode du tarot s'était répandue, avant de revenir finalement en France où il faisait figure de nouveauté dans le salon de Mme D'Helvétius quand Court de Gébelin, qui y avait ses habitudes, redécouvrit ce jeu qui le surprit par sa richesse symbolique. Le Tarot avait donc été transmis décennie après décennie par des joueurs français d'abord puis européens qui ne se souciaient pas de significations symboliques qui, au contraire, sautèrent aux yeux de Court de Gébelin. Ce dernier, passionné par la question, se persuade immédiatement que le savoir symbolique qu'il avait sous les yeux dans les Cartes du Tarot ne pouvait remonter qu'à l'Égypte antique. C'est ce qu'attestait à ses yeux la présence de cette grande prêtresse qu'il reconnaît en l'Atout II. Dans la description que Court de Gébelin fit de l'iconographie du second Atout, tout comme dans sa présentation dessinée au sein des planches qui illustrent Le Monde primitif, il accentua certains des traits de LA PAPESSE pour les faire coïncider avec son interprétation. Les deux cornes qu'il tire des couronnes de LA PAPESSE deviennent ainsi une esquisse de la coiffe d'Isis que Pamela Colman Smith, la dessinatrice du Rider Tarot, va rendre plus explicite encore. LA GRANDE PRÊTRESSE du Rider et la coiffe hathorique d'Isis Court de Gébelin est loin d'être le seul, en effet, à avoir procédé à des modifications du Tarot originel, en cherchant à corriger de soi-disant erreurs de cartiers insuffisamment formés au savoir historique et symbolique. Des transformations, déformations et permutations de Cartes se retrouvent dans toutes les recréations du Tarot qui se sont multiplié depuis la découverte du Tarot par Court de Gébelin, et y compris de nos jours où le Tarot ne cesse de se renouveler, en particulier, dans les pays anglo-saxons. Persuadés comme l'était Court de Gébelin lui-même qu'il fallait revenir à un Tarot égyptien originel, les deux créateurs du Rider que furent Arthur E. Waite et Pamela Colman Smith ont repris à ce dernier la redésignation de LA PAPESSE. Elle est devenue en langue anglaise " THE HIGH PRIESTESS". Les modifications de l'iconographie furent bien plus importantes que ce qu'avait initié Court de Gébelin en revanche : débarrassant la coiffe de LA PAPESSE de sa triple couronne de LA PAPESSE le Rider la remplaça par la coiffe hathorique d'Isis où le cercle solaire est entouré des cornes de la Vache divine. Cette coiffe que portait l'Isis de l'Antiquité tardive manifestait l'intégration, dans la Déesse Isis, devenue Mère divine unique, du symbole de la déesse Hathor, Mère nourricière du monde, et dont la Vache était l'une des expressions divine LA PAPESSE EST LA GRANDE MÈRE, INCARNATION SACERDOTALE DE LA MÈRE DIVINE Pour lire la suite, c'est ici .
- UN CINQUIÈME HONNEUR MANQUANT ? (accès libre)
CE QUE RÉVÈLE LA DISTRIBUTION DES CARTES DU TAROT, CINQ PAR CINQ La clé du Tarot : la distribution des Cartes cinq par cinq Une fois qu'on a retrouvé la clé laissée par les créateurs du Tarot à l'intention de l'amateur avisé - la distribution des Cartes cinq par cinq - l'Organisation holistique du Tarot de Marseille saute aux yeux. Car le Tarot de Marseille a été créé à la Cour de Milan, par un ou plusieurs créateurs dans lesquels sans doute un historien pourra prouver un jour que Lucas Pacioli et Léonard de Vinci, et peut-être aussi Botticelli qui étaient amis, qui avaient séjourné à Milan à la Cour de Ludovic Sforza et qui, en tout cas pour Pacioli et de Vinci, avaient l'habitude de collaborer... y avaient mis leur pattes. Non seulement, le jeu était distribué cinq Cartes par cinq à cette époque mais il porte un nom "Tarot", qui vient du grec "tarros", et qui renvoie à la rangée de cinq doigts dans la main . Toutes les indications étaient données pour qu'on puisse conserver cette mise en image de l'enseignement hermétique qu'est le Tarot de Marseille. Non seulement les joueurs transmettaient ainsi la clé qui permet d'ouvrir le Livre du Tarot pour en délivrer le message hermétique, mais ils rendaient aussi hommage ainsi aux bâtisseurs de cathédrales, et plus anciennement de temples antiques, inscrivant le Tarot dans cette lignée où la quine de l'architecte et le Nombre d'or étaient directement en lien à la main humaine et l'étoile pentagrammique. Cette distribution cinq par cinq est, en effet, le testament hermétique d'une élite de la Renaissance qui s'était approprié les enseignements du Corpus Hermeticum où la métaphysique des prêtres métaphysiciens de l'Égypte antique avait rencontré, dans ce lieu à haute valeur humaniste et spirituelle que fut la ville d'Alexandrine aux premiers siècles de notre ère, la sagesse des philosophes grecs. Quand on distribue les Cartes du Tarot, cinq par cinq, on voit se dessiner des relations entre les Atouts et le reste des Cartes, et tout particulièrement entre les Atouts et les quatre Cours. Le Tarot se révèle, alors, être l'image de cette formule radicalement hermétiste de la Table d'Émeraude qui résume le Corpus Hermeticum , du moins dans sa première partie spécifiquement hermétiste, la seconde concernant le travail alchimique : "Ce qui est en bas, est comme ce qui est en haut ; et ce qui est en haut est comme ce qui est en bas, pour faire les miracles de l'Un. Et comme toutes les choses ont été et sont venues de l’Un, par la médiation d’Un : ainsi toutes les choses ont été nées de cette Chose unique, par adaptation. Le Soleil en est le Père, la Lune est sa Mère, le vent l’a porté dans son ventre ; et la Terre en est la nourrice." Dans le Tarot, le Ciel archétypal et la Terre matérielle se reflètent mutuellement, comme il se doit dans toute représentation hermétique du réel, car l'un et l'autre sont Uns, pourvu que l'humanité s'éveille à sa propre divinité. Car tel est le projet du Tarot : donner des clés à l'humanité pour qu'elle se souvienne de sa nature profonde et puisse jouer le rôle qui doit être le sien de toute éternité : fermer le cercle, unir le Ciel et la Terre, être la Jardinière d'un Éden à la fois terrestre et céleste. Dans le Tarot, le Ciel est représenté par les Atouts. La Terre s'incarne dans les Nombres, mais aussi dans les Cartes de Cour qui ont en commun de se partager en quatre Couleurs, chacune des Couleurs représentant l'un des quatre Éléments : Terre pour les Deniers qui conservent et thésaurisent, Feu pour les Bâtons inflammables et puissants, Air pour les Épées théoriciennes et rationnelles, et enfin Eau pour les Coupes qui, seules, savent recueillir les bénédictions du Ciel. Avoir rangé les Honneurs dans ce groupe de Cartes du Tarot que Paul Christian a désigné sous le terme "d'Arcanes mineurs" ne rend pas hommage à l'humanité et à laquelle aussi bien les hermétistes alexandrins de l'Antiquité que les hermétistes de la Renaissance reconnaissent une dignité égale à celle du divin. Or, seule, l'humanité est capable de recomposer l'unité perdue depuis que la Divinité Une s'est scindée en deux, en Lumière céleste et Ténèbres rapidement devenues la source de la Matière humide d'où sont issues toutes les existences corporelles. L'aventure cosmique que représente l'incarnation divine dans le monde ne peut aboutir que lorsque l'humanité sera éveillée à sa propre divinité, et qu'elle accomplira alors l'unité du monde. Les Cartes de Cour ne sont donc pas du tout des "Arcanes mineurs" au même titre que les Nombres. Et elles ne sont pas non plus des Atouts. Elles sont au coeur d'une Organisation holistique où elles font le lien entre le Haut des Atouts et le bas des Cartes Numérales. Au coeur de la Création, elles représentent l'humanité dans sa quadruple composition. LES QUATRE COURS DU TAROT ET LES TEMPÉRAMENTS DE DAVID KIERSEY Les quatre Cours du Tarot S'il y a donc bien des cartes du Tarot qui ne sont pas suffisamment mises en valeur par les taromanciens, ce sont les cartes de Cours, appelées aussi Honneurs ou Figures. Pourtant, sont en jeu là, les quatre expressions principales de l'humanité tout comme des sociétés humaines : les personnalités engagées dans la matière et leur transformation sont représentées par la Cour de Denier, les personnalités engagées dans la société et sa direction sont représentés par la Cour de Bâton, les intellectuels et justiciers sont représentés par la Cour d'Épée, et enfin les artistes, intuitifs, mystiques et inspirés sont représentés par la Cour de Coupe. C'est un disciple de Jung qui a poussé le plus loin l'analyse théorique de cette quadrature humaine qu'on trouve déjà dans le Tarot de Marseille : David Kiersey. Voyant dans l'humanité quatre principaux tempéraments, il a nommé Artisans ceux qui, pour l'amateur du Tarot, appartiennent à la Cour de Denier, Gardiens ceux que nous voyons comme les membres de la Cour de Bâton, Rationnels ceux qui correspondent, dans le Tarot, aux Honneurs d'Épée, et enfin, Idéalistes ceux que le tarologue voit correspondre à la Cour de coupes. LES DEUX PREMIÈRES MAINS DES ATOUTS CONTIENNENT LES MAÎTRES-ATOUTS DES FIGURES DU TAROT Les Cours ne font pas que partager, avec les Nombres (ou Cartes numérales), cette quadri-répartition en quatre Couleurs (Denier, Bâton, Épées et Coupes). Elles sont constituées par des personnages qui sont fortement en lien aussi avec les Atouts des deux premiers Niveaux des Atouts. Ainsi, si le partage d'une même Couleur donne un ensemble qu'on appelle une Cour, il y a, dans chaque Cour, quatre personnages qui sont apparaissent comme des répliques en couleur, d'un personnage qui appartient au premier ou aux deux premiers niveaux des Atouts. Puisque le Ciel du Tarot a été pensé à l'époque de la Renaissance où s'est créé le Tarot dit de Marseille, une époque où non seulement l'hermétisme était redécouvert par un Occident qui avait retrouvé le Corpus Hermeticum , mais aussi une grande partie de la philosophie de Platon, ce Ciel tarologique qu'incarnent les Atouts est constitué d'Archétypes, ce que Platon appelait les Idées intelligibles. Il n'est donc nullement étonnant que l'on retrouve les Archétypes les moins élevés, les plus proches de l'incarnation, ceux des deux premières Mains du Tarot, se reflètent dans les Cours, cet espace terrestre où l'humanité incarne, de manière limitée et propre à chaque Couleur ce qui émane du Ciel. Ainsi, tous les Valets sont en lien avec LE BATELEUR et L'AMOUREUX et en semblent des incarnations au sein de la couleur particulière de chaque cour ; tous les Cavaliers sont des expressions particulières du CHARIOT; toutes les Dames sont des incarnations particulières de L'IMPÉRATRICE et/ou de la JUSTICE et enfin, tous les Rois sont des manifestations singulières de L'EMPEREUR et/ou de L'HERMITE. Apparaissent alors deux énigmes : pourquoi LA PAPESSE et LE PAPE n'ont-ils pas leurs expressions colorées au sein des Cours qui représentent l'humanité ? N'y a-t-il pas un cinquième honneur manquant ? Sachant que le cinquième Élément, l'Éther, est invisible, ne peut-on pas parler de cinquième Honneur invisible ? Mais quel est-il ? LE BATELEUR ET L'AMOUREUX SONT LES MAÎTRES-ATOUTS DES VALETS Les Valets et leurs deux Maîtres-Atouts : LE BATELEUR et L'AMOUREUX Tous les Valets ont quelque chose qui relève du BATELEUR et de L'AMOUREUX, une forme de fraîcheur, d'innocence, d'immaturité. Mais les Valets traduisent les caractéristiques de L'AMOUREUX et du BATELEUR, dans la Couleur qui est la leur, tout en endossant le rôle que leur confère leur insertion dans une Cour royale. Ainsi, le Valet de Denier parle d'un apprenti artisan, d'un jeune paysan, d'un étudiant en matière financière, etc. pendant que le Valet de Bâton parle d'un jeune sportif, d'un étudiant charismatique, d'un assistant parlementaire qui débute, etc., que le Valet d'Épée représente un étudiant en science ou en droit, un jeune chercheur, un esprit brillant, mais débutant, etc., et enfin que le Valet de Coupe oriente vers les artistes et postulants à la prêtrise. LE CHARIOT EST LE MAÎTRE-ATOUT DES CAVALIERS Pour lire la suite, c'est ici .
- LA VERTICALE DES II (accès libre)
La Verticale des II, Éditions Y. Reynaud LA VERTICALE DE LA DUALITÉ Puisque l'on sait, désormais, que le Tarot n'est autre que le Livre en image de la doctrine hermétique telle qu'elle s'était imposée à la Renaissance au sein de l'élite italienne, il est nécessaire de rappeler, pour comprendre le rôle que joue cette Verticale des II au sein du Tarot, ce que représentait la dualité aux yeux des philosophes alexandrins de l'Antiquité tardive, ceux en particulier qui ont écrit le Corpus Hermeticum . La dualité était d'abord, pour eux, l'expression même de toute Manifestation, celle-ci s'exprimant à la fois dans les oppositions et le conflit, mais aussi dans l'attrait érotique des contraires, et encore dans la nécessaire réunification que seul permet cet attrait. La dualité accompagne, en effet, le moment même où la divinité bascule de l'Unité divine originelle, à la fois invisible et indicible, vers la réalité visible et exprimable en mots. La première et fondamentale dualité qui sépare, éloigne, oppose, met en scène le face à face de la Lumière divine et des Ténèbres faites de matière humide, d'obscurité, de passivité, puis elle agit de toute la force du désir amoureux pour les réunifier. Le Poimandrès , manuscrit traduit par M. Ficin Voici le tout début du Poimandrès, ce premier Traité du Corpus Hermeticum que Marsile Ficin avait eu entre les mains, et avait traduit, permettant à l'élite de la Renaissance italienne de découvrir ce manuscrit grec longtemps oublié de l'Occident venu de Constantinople. Ce livre, lu dans le manuscrit en latin de Ficin, dans sa traduction en Italien, dans ses multiples éditions imprimées partout en Europe a révolutionné l'imaginaire occidental faisant renaître l'hermétisme antique, en pleine Renaissance, lui accordant cependant une tonalité et une espérance différente, de nature évangélique. C'est Hermès qui parle : « Je réfléchissais un jour sur les êtres ; ma pensée planait dans les hauteurs, et toutes mes sensations corporelles étaient engourdies comme dans le lourd sommeil qui suit la satiété, les excès ou la fatigue. Il me sembla qu'un être immense, sans limites déterminées, m'appelait par mon nom et me disait : ‘Que veux-tu entendre et voir, que peux-tu apprendre et connaître ?’ ‘Qui donc es-tu ?’, répondis-je. ‘Je suis, dit-il, Poimandrès (le pasteur de l'homme), l'Intelligence souveraine Je sais ce que tu désires, et partout je suis avec toi.’ -‘Je veux, répondis-je, être instruit sur les êtres, comprendre leur nature et connaître Dieu’. ‘Reçois dans ta pensée tout ce que tu veux savoir, me dit-il, je t'instruirai’./ À ces mots, il changea d'aspect, et aussitôt tout me fut découvert en un moment, et je vis un spectacle indéfinissable. Tout devenait une douce et agréable lumière qui charmait ma vue. Bientôt après descendirent des ténèbres effrayantes et horribles, de forme sinueuse ; il me sembla voir ces ténèbres se changer en je ne sais quelle nature humide et trouble, exhalant une fumée comme le feu et une sorte de bruit travers l'autre, et recevaient l'impulsion de la parole qu'on entendait sortir du fluide supérieur./ ‘As-tu compris, me dit Poimandrès, ce que signifie cette vision ?’ ‘Je vais l'apprendre’, répondis-je. ‘Cette lumière, dit-il c'est moi, l'Intelligence, ton Dieu, qui précède la nature humide sortie des ténèbres. La parole lumineuse (le Verbe) qui émane de l'Intelligence, c'est le fils de Dieu’. ‘Que veux-tu dire ? répliquai-je. – ‘Apprends-le ce qui en toi voit et entend est le Verbe, la parole du Seigneur ; l'Intelligence est le Dieu père. Ils ne sont pas séparés l'un de l'autre, car l'union est leur vie’. ‘Je te remercie’, répondis-je. ‘Comprends donc la lumière, dit-il, et connais-la.’ » Parole d'Hermès dans le Poimandrès , premier Traité du Corpus Hermeticum On pourrait croire, à lire le Poimandrès , que son auteur s'est inspiré de la Genèse et de la description qu'elle fait du premier jour de la Création : " AU COMMENCEMENT, Dieu créa le ciel et la terre. Et la terre était informe et vide, les ténèbres étaient au-dessus de l’abîme et le souffle de Dieu planait au-dessus des eaux. / Dieu dit : « Que la lumière soit. » Et la lumière fut./ Dieu vit que la lumière était bonne, et Dieu sépara la lumière des ténèbres./Dieu appela la lumière « jour », il appela les ténèbres « nuit ». Il y eut un soir, il y eut un matin :/ premier jour ." Dans les deux descriptions cosmogoniques juive et hermétique, cependant, la posture divine est à l'opposée l'une de l'autre : pour le monde hébraïque, le divin est une entité transcendante, alors qu'il accouche du monde comme de sa propre essence dans l'hermétisme. Et même si le milieu alexandrin où furent écrits les plus grands textes hermétiques parvenus jusqu'à nous, et en particulier le Corpus herméticum et l' Asclépios , abritait une importante communauté juive, l'hermétisme doit beaucoup moins à l'influence de cette dernière sur sa représentation du réel qu'à la métaphysique égyptienne et à la philosophie grecque qui, déjà, avaient imaginé le Deux venir de l'Un. Loin d'être un être transcendant et éloigné de sa création, comme l'est le Dieu des Hébreux et des gnostiques, la divinité égyptienne et hermétique n'est pas séparée de la Manifestation : c'est Elle-même qui ne peut Se Manifester qu'en acceptant de traverser la dualité. Ce qu'on apprend aussi, à lire le Poimandrès, c'est que si toute dualité est faite d'opposition, de contradictions et souvent de luttes, de guerres, de violences diverses et variées, elle est avant tout Désir. D'emblée, les Ténèbres appellent la Lumière et ce désir infini est créateur du Feu qui s'élève de la Terre vers le Ciel, témoignant de l'attraction érotique irrésistible qu'éprouve la Matière humide et les Ténèbres originelles pour la Lumière perdue. Dans l'hermétisme, l'aventure cosmique qu'est la Manifestation divine raconte l'aventure de désir et d'amour qu'éprouvent la Terre et le Ciel, l'un pour l'autre, qu'est la Manifestation. Et cette attraction est aussi celle qu'éprouvent les Éléments entre eux dans les multiples combinaisons qui forment le Monde. Le désir amoureux fait de la Création tout entière, une immense tension historique et érotique visant à reformer l'Unité originelle perdue. La doctrine hermétique qui ne consiste en rien d'autre qu'en la révélation de cette aventure cosmique insiste aussi sur le rôle que doit jouer l'humanité, en tant que porteuse de conscience et d'intelligence, dans le dépassement de la dualité et l'harmonisation des contraires et leur transformation en complémentaires qui est le but ultime de la Manifestation. Au sein du Tarot, la Verticale des II est le plus important théâtre où se joue l'aventure de la dualité au sein de l'humanité, mais aussi les fausses conjonctions que celle-ci suscite et qui sont issues de la tentation oedipienne. Car en la dualité s'inscrit de terribles impasses, mises en scène aussi bien par la mythologie que par le Tarot, et qui ne seront cependant réellement comprises qu'avec les révélations que firent la psychanalyse et surtout Jung. I DES ATOUTS QUI S'OPPOSENT DEUX PAR DEUX Alors que la Verticale des I met en scène la progression d'une individualité essentielle jusqu'à sa réalisation concrète et sa reliance au Ciel, la Verticale des II parle, conformément à son nombre, de la séparation, de la comparaison, de l'opposition, de la contradiction, mais aussi de la réconciliation, de la réunification, de la transformation des oppositions en couple de complémentaires qui résument l'histoire cosmique de la Manifestation dans son émergence, ses souffrances et son long cheminement jusqu'au mariage cosmique entre le Ciel et la Terre. La première expression de la dualité telle qu'elle s'est traduite dans l'humanité, c'est la séparation en deux genres. Il n'est dès lors pas étonnant que la Verticale des II soit la seule des cinq Verticales où se joue un équilibre parfait entre les deux genres. On y voit, aux extrêmes, deux femmes et, au centre, deux hommes. Cette distribution ne fait que retrouver l'organisation holistique de l'ensemble du Tarot où quatre Couleurs sont en harmonie avec les quatre Mains du Tarot, les Couleurs féminines - les Deniers et les Coupes - tout de même que les Mains féminines - la première et la quatrième - encadrant les Couleurs et Mains masculines où sont en jeu les Bâtons et les Epées. Mais ce qui saute aux yeux dans la Verticale des II, c'est le fait que les deux couples qui ne sont pas les expressions d'une réunion des deux genres, mais des couples de manifestations du même genre, mais à l'opposé les unes des autres. L'ÉTOILE et LA PAPESSE incarnent deux types opposés de femmes et LE PENDU et LE CHARIOT deux types d'hommes ayant, visiblement, des manières d'être directement contradictoires. Dans le couple femelle et aux deux extrêmes de la Verticale, on a une vieille femme et une femme jeune ; une femme couverte de tissus divers et variés et une femme nue ; une femme sans âge engloutie sous la pierre et l'urbanité culturelle et une jeune femme dans un paysage ouvert, naturel et cosmique ; une femme assise, immobile, méditative et une femme sur un genou et qui agit en versant l'Eau du Ciel dans les eaux de la Terre... Et une même opposition systématique relie les deux membres du couple central de nature mâle : un jeune homme royal, dynamique, en mouvement rapide d'un côté et un homme immobilisé dans une posture extrêmement inconfortable sinon humiliante, pieds et poings liés de l'autre ; un jeune homme en mouvement horizontal et un jeune homme découvrant la verticalité inversée ; un jeune homme à qui tout réussi et un jeune homme contraint à subir les pires oppositions et à cultiver la plus longue des patiences... LA PAPESSE ET L'ÉTOILE : LES DEUX VISAGES D'ISIS OU DE LA VIERGE MARIE Pour découvrir la suite, c'est ici .
- LA JUSTICE- Atout VIII (accès libre)
LA JUSTICE du Tarot Conver, Éditions Yves Reynaud LES CARACTÉRISTIQUES DE LA JUSTICE LA JUSTICE nous regarde de face. Classiquement, elle tient une épée dans la main gauche, car son rôle est de trancher entre les partis en opposition pour régler les différends par une décision qui met fin au conflit. Elle tient une balance dans la main droite, et ce symbole de LA JUSTICE où pèse équitablement ce qui revient à chacun en matière de peine et de compensations, n'est pas que procédurale. Il est aussi en jeu dans la distribution des biens et des corvées au sein d'une communauté. LA JUSTICE est couronnée sur un trône : c'est une reine. Dans la Verticale des III, elle se tient au-dessus de L'IMPÉRATRICE et non de L'EMPEREUR qu'elle touche cependant en diagonale. L'EMPEREUR est le gardien de l'ordre juste, mais c'est L'IMPÉRATRICE qui représente la communauté, aussi bien familiale que politique. Or une communauté n'est une que quand LA JUSTICE y règne. LA JUSTICE apporte de l'ordre, l'injustice du désordre. LA JUSTICE est au coeur de la troisième Main du Tarot : sans elle, la vie sociale et politique est impossible. LA JUSTICE a pour Atout complémentaire l'Atout XIII. Elle est la petite castratrice de l'ordre humain, quand la mort est la grande castratrice cosmique. Toutes les deux sont au service de la vie vivante. La Croix d'Atouts complémentaires qui inclut LA JUSTICE ajoute au couple qu'elle forme avec l'Atout XIII, le couple formé par L'IMPÉRATRICE et LA LUNE. Est en jeu, dans cette Croix de Complémentaires, le Pouvoir Vie/Mort/Vie des femmes et de la Nature. Cette Verticale des III représente le tronc de l'Arbre de Vie du Tarot. LA JUSTICE EST L'UNE DES QUATRE VERTUS CARDINALES Les quatre vertus cardinales dans le Tarot LA JUSTICE est l'une des quatre vertus les plus importantes et les plus couramment évoquées par les philosophes ou les éthiciens puis par les théologiens. Ce sont ces derniers qui ont qualifié de "cardinales" les quatre vertus qui étaient considérées par les philosophes de l'Antiquité comme les plus importantes. Ces vertus sont dites "cardinales", au sens étymologique de cet attribut ( du latin "cardo" : le pivot et "cardinalis" : ce autour de quoi tout tourne) : ce sont des vertus pivots autour desquelles tournent les autres vertus qui ne font qu'en découler. Ces quatre grandes vertus humaines sont la force d'âme dite aussi courage, la tempérance , la justice et la sagesse appelée aussi "prudence", du fait du sens premier du mot latin "prudentia". Les vertus cardinales ont leur place dans le Tarot. Même s'il y a d'autres candidats possibles parmi les Atouts, sont généralement retenues : LA FORCE pour incarner la force d'âme, TEMPÉRANCE pour la vertu qui porte le même nom, L'HERMITE pour la sagesse, et bien sûr LA JUSTICE pour la vertu du même nom. La place qu'a chacune des Cartes dans la suite des Atouts n'est pas due au hasard. Le créateur du Tarot a placé la justice en premier, suivie immédiatement par la sagesse, puis la force d'âme et enfin la tempérance . Selon le TAROT, la justice et la sagesse sont des vertus sociales qui sont nécessaires à toute communauté humaine, celle-ci étant représentée, dans le Tarot, par la seconde Main, tandis que la force d'âme et la tempérance qui appartiennent à la troisième Main, représentent des vertus de nature spirituelle. Si la vertu de la justice arrive en premier sur la scène tarologique, c'est parce que, comme l'expliquait déjà Aristote, elle représente l'essence même de toute vertu. Elle est au coeur des trois autres. Et surtout, elle vient en premier en tant que fondement de toute vie relationnelle, par quoi commence, pour l'être humain, la découverte d'autre chose que ce qui découle de son égoïsme vital et de ses instincts de possession et de jouissance. La Justice est première, dans l'ordre des vertus du Tarot, parce qu'elle s'inscrit directement contre l'égoïsme primitif. Elle oblige à tenir compte de l'autre et des autres, à inscrire l'individu dans un ensemble plus large, celui de la famille ou celui de la cité. Être juste, c'est, explique en effet Aristote dans l' Éthique à Nicomaque , c'est part prendre sa part en matière de corvées au sein de la communauté et, d'autre part, ne prendre que sa part en matière de biens qui se partagent. C'est reconnaître que les autres ont leur propre part, et eux aussi, une part limitée. C'est prendre sa place au milieu des autres, et sa juste place, tout comme c'est accorder à chacun des autres leur juste place. AU SEIN DE LA VERTICALE DES III, L'IMPÉRATRICE TRANSMET AUX ENFANTS L'IDÉAL DE LA JUSTICE ET SES PRINCIPES LA JUSTICE au-dessus de L'IMPÉRATRICE Au sein de l'Organisation holistique du Tarot de Marseille, LA JUSTICE se trouve juste au-dessus de L'IMPÉRATRICE, ce qui représente la mise en image d'un fait universel : la mère de la triangulation, la mère qui a aussi potentiellement plusieurs enfants accomplit, pour la bonne santé de la communauté familiale, un travail important de juste répartition des tâches et des biens entre tous. Tout enfant tend spontanément à tout avoir pour lui, ou en tous cas, le meilleur pour lui. Mais, parce qu'il a grandi et qu'il n'est plus en face de la mère fusionnelle (LA PAPESSE), il est confronté à la nécessité du partage. Et ce n'est pas facile, car il doit apprendre à brider la pulsion égoïste qui s'enracine dans le puissant instinct de survie. Ce n'est pas non plus tout à fait spontanément qu'il obéit aux règles de la vie en commun. L'IMPÉRATRICE est souvent obligée d'incarner LA JUSTICE de façon à ce que ses enfants apprennent à partager, tout comme à respecter les règles de la vie en commun, même si c'est ensuite au père tribal, L'EMPEREUR, que l'enfant sera confronté, quand il va remettre en cause l'autorité de la mère et tester les limites de ce qu'il a le droit de faire. LA JUSTICE repose sur différents principes qui la rendent plus concrète dans le rapport à la vie communautaire : le principe d'égalité et le principe de l'équité. Le principe d"égalité naît de l'aptitude des parents à distribuer égalitaire leur amour entre les enfants. Chaque enfant sent qu'il a droit à être aimé autant que les autres au sein de chaque famille. En chacun, l'aspiration à un ordre juste passe dès lors par la reconnaissance d'un certain principe fondamental d'égalité qui ne pouvait que finir par s'exprimer sur le plan politique. Cela s'est traduit, en France et historiquement, par le renversement de l'Ancien Régime où les privilèges de l'aristocratie ont été abolis. Atout XVIIII Sur l'importance politique du principe d'égalité, un autre Atout est en jeu dans le Tarot, l'Atout XVIIII, LE SOLEIL. On y voit un Père solaire aimer ses enfants de manière tellement égalitaire, qu'ils découvrent en eux, une fraternité si grande, qu'elle fait d'eux des jumeaux. Mais tous les pères ne sont pas des incarnations terrestres du SOLEIL et de l'archétype parternel qu'il représente dans sa générosité rayonnante, et toutes les mères terrestres ne sont pas non plus capables d'incarner LA JUSTICE malgré le fait que, dans le Tarot, LA JUSTICE surplombe L'IMPÉRATRICE. QUAND L'INJUSTICE DU PÈRE FONDE LA CATASTROPHE : L'HISTOIRE DE LA FAMILLE DE JACOB Jacob cherchant le pardon d'Ésaü selon Jan Victors (1652) (détail) La Bible raconte l'histoire d'un père injuste qui représente une sorte de contre-modèle de la bonne relation parent-enfant. C'est celle de Jacob, fils d'Isaac et père de Joseph. Pour aller plus loin, c'est ici .






