
L'IMPÉRATRICE ET LA PAPESSE DEUX TYPES TRÈS DIFFÉRENTS DE FEMME

L'IMPÉRATRICE représente un type de femme, très différent de celui de LA PAPESSE qui la précède.
Regardons l'orientation des corps : LA PAPESSE est entièrement tournée vers la gauche qui symbolise l'intériorité, le passé et, au sein de la première Main du Tarot, elle regarde LE BATELEUR, l'enfant. L'IMPÉRATRICE a un corps aux orientations complexes. Bien de face, portant l'écusson à l'Aiglon qui est un indicateur de l'enfant (l'aiglon est le petit de l'aigle impérial), ses yeux sont tournés vers son époux, L'EMPEREUR. Alors que LA PAPESSE est la mère fusionnelle, mère en jeu dans la relation duelle où domine le couple mère-enfant, L'IMPÉRATRICE est la femme des relation triangulaire. Elle n'est plus orientée que par l'enfant qui a grandi. Elle a repris une posture où elle donne de l'importance à chacun des enfants et à son époux, ainsi qu'à son activité impériale.
L'IMPÉRATRICE est le symbole tarologique de la femme aux multiples intérêts. C'est une femme qui assume toutes ses fonctions : maternelle, conjugale, et jusque et y compris sa participation à la vie sociale que représente son lien à l'Atout VIII, LA JUSTICE, qui, au sein de l'Arbre du Tarot, la surplombe, et qui en est dès lors l'une des modalités.
LA SYMBOLIQUE DU NOMBRE III ET DU TRIANGLE

Le nombre trois porte en lui une très forte impression d'harmonie, d'équilibre. Et c'est d'ailleurs pourquoi les peintres, les romanciers, les penseurs adoptent souvent le rythme ternaire pour s'exprimer. Ce fut, au demeurant, sur le modèle de la description hégélienne de la manifestation en trois temps, celui de l'Affirmation, celui de la Négation et celui de la Synthèse. Sur la subdivision de la dissertation en trois parties qu'imposa longtemps l'Éducation nationale en France, reposait l'impression d'une forme de complétude qu'on n'a pas avec le plan en deux parties laissé tout entier à la dualité de thèses irréconciliables.
Le trois est le premier nombre qui fait cercle. Avant lui, la ligne ou la dualité des deux lignes parallèles (deux individualités qui ne communiquent pas vraiment) ou en croix (deux individualités qui s'affrontent). Avec le III est en jeu la figure géométrique du triangle, les trois traits se lient les uns aux autres mais deux par deux seulement et il faudra s'en souvenir : le cercle que permet le triangle reste insuffisant. Il faut encore pour que le cercle se termine vraiment, atteindre le V, non seulement parce que le V représente une main entière, liant en passant par le poignet, le pouce à l'auriculaire, mais parce qu'il est le nombre de l'étoile à cinq branches qui lie tous les traits en jeu dans un cercle cette fois véritablement complet. Le pentagramme étoilé est cependant constituée de cinq triangles qui forment de petites unités à l'intérieur du tout. Et ces triangles représentent toutes les configurations possibles des relations internes à la communauté, au sein d'un cercle constitué de cinq individualités ou entités.
Ainsi, dans la famille, on trouve le triangle grand-mère, mère, enfant que nous avons rencontré dans l'analyse de LA PAPESSE, l'Atout II, mais on trouve aussi le triangle formé par l'enfant, la mère et le père, et encore le triangle formé par la communauté des enfants dans leur relation à l'un des parents, et encore la relation enfant, grand-mère, grand-père, et le dernier triangle, essentiel à l'autonomisation de l'enfant, le triangle enfant-père de la loi- père socratique. Ce sont les cinq membres de la famille et les cinq triangles de relation à trois que contient le cercle familial symbolisé par le premier Niveau de l'Arbre de vie tarologique. Et au coeur de la famille, il y a la mère, L'IMPÉRATRICE.
Le Nombre III est femme, dans le Tarot, tout comme le Triangle, son équivalent géométrique, bien que dans les REL, il apparaît surtout comme le symbole de la triangulation de la relation enfant, mère, et père. S'il est le Nombre de L'IMPÉRATRICE dans le Tarot, c'est parce que la première communauté humaine, la famille, repose essentiellement sur la femme et son pouvoir de fécondité.
LE NÉCESSAIRE THÉÂTRE OEDIPIEN ET LA MÈRE DE LA TRIANGULATION

Toutes les thérapies de type analytique mettent l'accent sur la nécessité vitale, pour le psychisme en construction de l'enfant, de sortir de la relation duelle qu'il a, au départ, avec toutes les personnes qui s'occupent de lui, et tout particulièrement avec sa mère, pour entrer dans un type de relation où il se découvre relativisé et mis en rivalité. C'est l'entrée dans "le temps de la modification" : l'enfant prend conscience, qu'une relation existe entre ses parents et qui ne le concerne pas. Il ressent une exclusion, et ce sentiment, aussi douloureux soit-il, lui permet d'accéder à une transformation de l'image de la mère qui, de fusionnelle, incarnée par LA PAPESSE, passe à une image incarnée par L'IMPÉRATRICE et qui relève de la triangularité. Le théâtre oedipien commence à ce moment-là. L'IMPÉRATRICE qui a les yeux tournés vers L'EMPEREUR, son conjoint, devient une mère oedipienne, une rivale pour la fille, et l'objet du désir pour le petit garçon.
LA FEMME ACCOMPLIE, CRÉATIVE ET/OU PROCRÉATIVE

L'iconographie du Rider que l'on doit à la très inspirée Pamela Colman Smith présente une IMPÉRATRICE, épanouie, portant une robe blanche ornée de grenades, couronnée de treize étoiles, assise sur un trône confortable, dans une robe blanche décorée de grenades, et qui règne sur un royaume agraire, où les blés mûrs ne demandent qu'à nourrir l'humanité. Elle est l'incarnation de la Vie dans sa générosité. Elle est le coeur de la famille qu'elle a constituée, le socle fondateur de la Verticale du III qui la met en relation avec les forces de la vie et les puissances de la mort-pour-la-vie.
Par la planète Vénus que Pamela Colman Smith a dessiné sur le blason de coeur reposant sur le sol à gauche du trône, L'Impératrice incarne l'amante. Elle est celle qui aime non seulement son conjoint, mais chacun des membres de sa famille et qui de ce fait, ne leur donne pas seulement la vie biologique, mais ne cesse de nourrir la vie vivante de leur psyché, celle qui ne peut exister sans le soutien de l'amour maternel. Cette femme féconde qu'illustre Pamela Colman Smith, est une femme créative, douée, profonde. C'est une femme en lien avec la nature, avec ses rythmes, et sa puissance créative et procréative. Elle embrasse les mystères que sont ses intuitions fulgurantes, la femme dans sa sexualité, et ses cycles.
L'IMPÉRATRICE ET SON ATOUT COMPLÉMENTAIRE, LA LUNE : L'ARCHÉTYPE DE LA FEMME SAUVAGE ET SON LIEN À LA SORCIÈRE

Le monde actuel se meurt d'avoir, au cours des millénaires qui ont installé le patriarcat et la "civilisation moderne", pillé ou détruit la nature sauvage, tout comme ce que Clarissa Pinkola Estés désigne sous le terme des "terres spirituelles de la Femme sauvage". Ses "tanières" ont été détruites "à coup de bulldozer", "ses cycles naturels forcés de suivre des rythmes contraires à la nature pour le bon plaisir des autres". Soumises à la reproduction des fils par des hommes qui usaient de leurs propres filles pour créer des systèmes d'alliances, les femmes pourtant piliers de l'Arbre de vie tarologique, piliers de la famille, piliers de la communauté humaine, piliers dans leur connaissance instinctive de la mort qui sert la vie, et leur sagesse humaine, et doubles piliers de la spiritualité en tant qu'incarnations des archétypes de l'Anima (L'ÉTOILE) et Femme sauvage (LA LUNE)... ont si longtemps été "infantilisées et traitées comme une propriété privée" qu'elles ont oublié leur lien à LA LUNE, à la nature, à la vie sauvage.
Longtemps les femmes ont perdu leur droit à la créativité artistique, à la sagesse philosophique, à leur profonde aptitude à la prophétie et à la prêtrise. Elles avaient à peine le droit d'écrire, de peindre, de danser, de se parer, au risque d'être continuellement harcelée, victimes d'agressions sexuelles d'hommes qui semblaient ne jamais être parvenus à une maturité intérieure suffisante pour savoir se contrôler et respecter les femmes qu'ils côtoyaient. Elles furent enfermées dans des gynécées, voilées presque entièrement d'un côté, réduites de l'autre à leurs attributs sexuels... Elles ont subi le contrôle patriarcal de leur pouvoir reproductif par des morales religieuses terriblement oppressives. Mais ce temps est presque résolu.

Le Tarot s'est d'emblée tenu à l'écart de cette oppression des femmes en reconnaissant leur profonde affinité à la nature, du fait de la complémentarité entre LA LUNE qui en est l'Atout symbolique et L'IMPÉRATRICE, l'Atout par excellence des femmes dans leur éminente féminité et leur pouvoir créatif et procréatif. De ce fait, il annonce la légitimité de la Femme sauvage. Selon le Tarot et du fait de cette complémentarité, aucune femme ne peut parvenir à sa propre plénitude sans se connecter à la nature sauvage. LA LUNE est à la fois la Nature sauvage et l'archétype du Féminin sauvage. Quand elle entre en contact avec la Nature sauvage, la Femme prend racine dans l'archétype de la Femme sauvage, de cette femme archétypale qui court avec les loups, comme l'explique Clarissa Pinkola Estés, et qui est faite de cycles naturels. Cette femme sauvage enracine ses actions dans l'intuition qui est la traduction, au sein de l'humanité, de l'instinctivité animale.
En se connectant à l'archétype de la femme sauvage, L'IMPÉRATRICE devient une femme précieuse entre toutes, inspirée, éminemment attirante, pleine de sagesse, une femme d'une richesse créative dont on peine de nos jours encore à imaginer tout le déploiement qu'il peut prendre. C'est une femme qui rend ses filles fières d'être une femme et qui peut rendre les hommes fous d'amour.
Dans son lien à LA LUNE, L'IMPÉRATRICE est l'autre grande candidate du Tarot, en dehors de LA PAPESSE, souvent identifiée à Isis, pour figurer le symbole de la sorcière, la femme qui agit sur le réel par des voies mystérieuses, en tissant les énergies subtiles. Les dons de L'IMPÉRATRICE lui sont naturels, elle ne cherche pas, comme LA PAPESSE à en faire une puissance distinctive. Elle s'appuie essentiellement sur ses rêves, et ses intuitions. C'est le don de LA LUNE aux femmes qui toutes, dès lors qu'elles sont nées à la femme sauvage en elles, ont un tel lien à la nature et aux énergies subtiles qu'elles auraient toutes pu passer pour des sorcières, dans le monde patriarcal soumis à la religion monothéiste que fut l'Europe du Moyen Âge et de la Renaissance.
LES DEUX DESTINS DE L'IMPÉRATRICE ET DE LA NATURE

Selon qu'elle se connecte ou non à LA LUNE, il y a pour L'IMPÉRATRICE deux destins possibles.
L'un est issu de millénaires de soumission patriarcale. Cela fait essentiellement d'elle soit un ventre maternel destiné à produire des fils, soit une femme trophée, une jolie chose hypersexualisée dont cependant la valeur sociale une fois dépassé l'âge de la Puella ne cesse de se dégrader, l'obligeant à tout faire pour ralentir les effets du temps. Cette femme est en grande souffrance.
Clarissa Pinkola Estés fait un parallèle entre le destin patriarcal des femmes et celui que connaît la nature sauvage. Ce sont les premiers mots de Femmes qui dansent avec les loups :
"La vie sauvage et la Femme sauvage sont toutes deux des espèces en danger. / Au fil du temps, nous avons vu la nature instinctive féminine saccagée, repoussée, envahie de constructions. On l'a malmenée, au même titre que la faune, la flore et les terres sauvages. (...)/ Ce n'est pas un hasard si les étendues sauvages de notre planète disparaissent en même temps que la compréhension de notre nature sauvage profonde s'amoindrit."
Même si, au moment où le Tarot se crée, ses auteurs n'avaient pas sous les yeux le désastre écologique dans lequel se trouve désormais la biosphère, car l'ère des Épées qui est la nôtre et qui est marquée par le développement scientifique et industriel commençait à peine, ils savaient que L'impératrice qui est l'archétype de la femme dans son pouvoir créateur et procréateur devait se connecter à la Nature Sauvage pour atteindre la plénitude de sa propre nature. En mettant en relation L'IMPÉRATRICE et LA LUNE, le Tarot invitait les femmes à faire naître en elles, ce que précisément des millénaires de patriarcat a cherché à éradiquer : la Femme sauvage.
Si elle ne se connecte pas à la vie sauvage qui est en elle, L'IMPÉRATRICE, cette représentante des femmes créatives, reste littéralement dévitalisée. Clarissa Pinkola Estés témoigne, en faisant à la fois référence à sa propre expérience et au matériau qu'elle tirait de son travail d'analyste jungienne, de ce que devient la vie d'une femme que toute son éducation à coupée de sa puissance intuitive et de son lien aux cycles de la Nature vivante :
"Se sentir perpétuellement stérile, lessivée, fragile, muselée, bâillonnée, froide, en pleine confusion, effrayée, faible, sans inspiration, pétrie de honte, chroniquement sur les nerfs, d'humeur changeante, coincée, squeezée, rendue zinzin, improductive. Impuissante, doutant perpétuellement, à vif, bloquée, incapable d'aller au bout, sacrifiant sa créativité aux autres, se laissant dévorer par le travail, les hommes, les amis, inerte, indécise, sans assistance, incapable de trouver le calme, de se fixer des limites. / Ignorante de ses propres rythmes mal à l'aise, loin de son Dieu ou de ses dieux, loin de tout ce qui peut la revivifier, noyée sous les tâches domestiques, le travail, intellectualisant à outrance ou sombrant dans l'inertie, parce que tout cela est rassurant pour quelqu'un qui a perdu ses instincts. (...)/ Craignant de mordre lorsqu'il n'y a rien d'autre à faire. Peur de la nouveauté, d'affronter les choses, de prendre la parole, de s'élever contre, coeur serré, estomac retourné, pliée en deux, étranglée, trop gentille, trop conciliante. (...) Toutes ces coupures d'avec la Femme Sauvage ne sont pas le mal du siècle, le mal d'une époque, le mal d'une ère. Elles sont une épidémie partout et à chaque fois que des femmes sont capturées, à chaque fois que la nature sauvage a été prise au piège."
Mais les femmes qui découvrent le Livre désormais ouvert du Tarot, qui dès lors se connectent à l'archétype de la Femme Sauvage qui est symbolisé par La LUNE, ou qui lisent Clarissa Pinkola Estés et entrent en analyse jungienne, ou qui, tout simplement, se mettent à l'écoute des vérités de leur corps, ont un autre destin, et leur personnalité se développe tout autrement :
"Quand les femmes l'ont perdue et retrouvée [la Femme Sauvage qu'elles portent en elles], elles font tout pour la garder à jamais. Elles se battent pour cela, car avec elle, leur vie créative s'épanouit, avec elle, leurs amours gagnent en profondeur, en signification, en bien-être, avec elle, les cycles de leur sexualité et de leur créativité, de leur travail se rétablissent. Elles ne sont plus les victimes désignées de la violence prédatrice des autres. Elles sont égales devant les lois de la nature, égales pour croître et lutter. Désormais, si elles sont fatiguées à la fin de la journée, c'est suite à des tâches satisfaisantes, non parce qu'elles étaient enfermées dans un travail, un état d'esprit ou une relation amoureuse étriqués. Elles savent instinctivement quand les choses doivent vivre et quand elles doivent mourir. Elles savent partir, elles savent rester. / En réaffirmant leur relation à la Nature Sauvage, les femmes reçoivent le don d'une observatrice intérieure permanente, une personne sage, visionnaire, intuitive, un oracle, une inspiratrice, quelqu'un qui écoute, crée, réalise, invente, guide, suggère, qui insuffle une vie vibrante au monde intérieur et au monde extérieur. Quand les femmes sont dans la proximité de cette nature, il émane d'elle une lumière ? Ce professeur sauvage, cette mère sauvage, ce mentor sauvage soutient envers et contre tout leur vie intérieure et extérieure. (...) / La Femme Sauvage, c'est la santé de toutes les femmes. Sans elle, la psychologie féminine n'a aucun sens. Elle est la femme prototype. (...)/ Elle passe par le canal des femmes."
LE DIABLE SON APPORT QUAND IL S'AGIT, POUR L'IMPÉRATRICE, DE SE RELIER À LA FEMME SAUVAGE

Du fait de l'asservissement qu'elles ont subi durant des millénaires, il peut être difficile aux femmes de se connecter à la nature sauvage qui est en elles. Mais le Tarot ne les laisse pas sans recours. Car la connexion entre Atouts complémentaires peut être aidée par l'Atout adjacent, celui qui par addition au premier Atout permet d'aller au second. Ainsi, le III va jusqu'au XVIII en passant par le XV. L'IMPÉRATRICE trouve donc dans LE DIABLE ce qui lui manque pour aller jusqu'à LA LUNE.
Un Atout adjacent qui va considérablement l'aider : LE DIABLE, atout XV. Car c'est grâce au DIABLE (le XV) que L'IMPÉRATRICE (le III), monte jusqu'à LA LUNE (le XVIII).
Il est difficile de comprendre tout ce que LE DIABLE peut apporter au type de femme au pouvoir de vie créateur et procréateur que représente L'IMPÉRATRICE, sans avoir lu préalablement Femmes qui courent avec les loups de Clarissa Pinkola Estés, car à peu près tout son livre explique pourquoi les femmes qui sont en lien à la Nature sauvage que, dans le Tarot, représente LA LUNE ont accès à des pouvoirs de vie vivante que bien des femmes, élevées dans la soumission par des millénaires de patriarcat, ont oublié. Mais elle explique aussi pourquoi à peu près tout ce que représente LE DIABLE va se trouver sur le chemin qui mène les femmes à contacter en elles la Femme Sauvage : c'est l'homme noir, le magicien puni pour avoir flirté avec des pouvoirs qui le dépassent, qu'elle apprend à se préserver des prédateurs. C'est aussi grâce à un amant doué et aimant (le XV connecté à son Atout complémentaire, le V, L'AMOUREUX), et par la révélation de la plénitude de la sexualité, que la femme retrouve le chemin, en elle, pour trouver ce qui la rend particulièrement vivante et créative.
LA VERTICALE DES III À LAQUELLE APPARTIENT L'IMPÉRATRICE : LE POUVOIR DE VIE/MORT/VIE ET L'ARCHÉTYPE DE LA FEMME-ARBRE

L'IMPÉRATRICE, lorsqu'elle intègre la Verticale des III qu'elle inaugure, devient une Femme-Arbre, une femme connectée à la Femme Sauvage en elle.
Cet archétype de la Femme-Arbre est aussi ancien que l'humanité, et l'on en trouve par exemple l'illustration dans le manuscrit de cette philosophe et poétesse française d'origine italienne qu'était Christine de Pizan.
Et cela implique l'intégration de ce qui se trouve au coeur de cette Verticale : l'intégration de la Justice, Atout VIII, la femme castratrice, la femme jardinière qui coupe ce qui est mort dans son jardin pour que la vie triomphe sur la mort, et la femme-squelette, la Mort, car la mort est une dimension essentielle de la vie vivante. C'est cette intégration que leur a refuséE le patriarcat où les hommes, singulièrement effrayés par le pouvoir de vie et de mort des femmes, ont voulu museler ce pouvoir, et l'enfermer dans des éthiques religieuses mortifères, au regard du bon développement psychique des femmes.
Là encore les analyses de Clarissa Pinkola Estés sont essentielles : elles mettent en évidence que les femmes connectées à leur nature sauvage sont doubles. Elles dialoguent, en tant que connectées à leur nature vivante, avec leur soeur intérieure, la femme squelette, la petite mort qu'est LA JUSTICE, ou la grande mort que représente, dans le Tarot, l'Atout XIII. Et parce qu'elles savent que la vie n'est possible que par le continuel renouvellement des forces de vie ce qui implique de faire place à la mort-pour-la vie, elles deviennent des femmes chamanes, des femmes-arbres, des femmes qui savent ce qui doit vivre et ce qui doit mourir. La Guérisseuse en elle, bien enracinée dans la nature sauvage, et élevant ses branches jusqu'au Ciel pour offrir ses fruits au monde, soigne les maladies, tranche les organes malades, offre à ceux, dont la vie n'est plus que misère, le breuvage euthanasique qui les libère. La femme reliée à LA LUNE, sa Mère archétypale Nuit, savait faire la différence entre ce qui doit vivre, et ce qui doit mourir, ce qui doit être jeté et ce qui doit être gardé, ce qui doit être éliminé et ce qui doit être tissé. Être une femme et assumer pleinement son pouvoir procréateur, c'est savoir, par exemple, tous les mois, faire un choix fondamental : donner la vie ou ne pas la donner. Chaque femme porte en elle un nombre précis d'oeufs qui seront fécondés ou qui ne le seront pas. Et c'est à la femme de savoir si elle veut ou non, si elle peut ou non, donner la vie. La longue mise en esclavage de leur pouvoir procréateur par une aliénation patriarcale et sa discipline mortifère par lesquels les hommes se sont emparés du pouvoir procréateur des femmes et ont imposé leur idéologie procréative fondée sur une appropriation des terres a mené au monde dévitalisé qui est le nôtre, avec une humanité en surnombre croissant qui dévalise toutes les ressources naturelles dans une biosphère au bord de l'apocalypse.
Mais si l'heure de l'apocalypse approche, un autre destin pour l'humanité et avec elle pour l'ensemble de la nature reste encore possible, celui où les femmes se réapproprient leur pouvoir créateur et procréateur, celui où s'assument dans leur pouvoir de vie-mort-vie, elles retrouvent le chemin qui les mène à la Femme sauvage et à son pouvoir immense de revitaliser tout ce dont elle s'occupe. Si les femmes s'enracinent en leur nature sauvage, au lieu d'aller à l'apocalypse, nous entrerons très rapidement dans la dernière ère promise à l'humanité par le Tarot dans sa nature hermétique : nous entrerons dans l'ère des Coupes.

Il est toujours surprenant de constater à quel point l'organisation holistique du Tarot de Marseille met en lumière les plus grands archétypes qui façonnent le destin de l'humanité.
La Verticale des III qui s'étalait sous mes yeux au début des années 2010 me parla immédiatement les propos de Jung qui rappelait à une humanité depuis longtemps élevée au sein des religions patriarcales et de sociétés sécularisées, que les grandes déesses de l'Antiquité étaient doubles : elles sont d'un côté lumineuses, amoureuses, guérisseuses, accoucheuses, maternelle, tendre, protectrices et, de l'autre côté, elles se manifestent comme sombres, guerrières, donneuses de mort, et violentes.
La Verticale des III assemble, en effet, quatre Atouts qui parlent à la fois de la Vie, de la Castration et de la Mort, LA LUNE réunissant le couple des contraires dans ses deux maisons : L'IMPÉRATRICE, LA JUSTICE, L'ATOUT XIII et LA LUNE, cette dernière réunissant, dans ses deux maisons, le couple des contradictions par lequel le Féminin sacré se manifeste.
Les symboles que, patiemment, Georges Romey récolta par l'enregistrement de milliers de rêves dans ses cures en rêves éveillés libres dont j'avais découvert la méthode dans les années 1990 (le R.E.L.), me parlaient aussi du lien profond qu'il y a entre la femme et la nature végétale. Les rêves disent en effet à quel point, les femmes qui sont en cure et qui progressent vers leur réalité profonde où se tiennent les sources d''énergie vitale, s'identifient à l'Arbre de vie :
"L’arbre est d’essence féminine. Nombreux sont les rêves dans lesquels la femme* s’identifie à l’arbre et même devient un arbre qui s’enracine et déploie son feuillage. Une psychologie féminine, devant une telle image, se sent tout de suite participant au flux de la sève. Devant une fleur ou un arbre, la rêveuse éprouve immédiatement le désir de se laisser glisser dans la tige ou dans le tronc, de descendre dans les racines, de se charger de la substance puisée dans l’humus et de remonter, pleine de vie, jusqu’à renaître d’une corolle. La femme et l’arbre ont en commun l’acte sacré qui assure, depuis le fond des temps, la chaîne de la vie : l’acte de porter fruit. Une femme qui évoque l’arbre ne connaît plus la solitude. Elle n’est plus un individu qui rêve, mais une vocation éternelle qui tend à son accomplissement." Georges Romey, Le Dictionnaire des symboles du rêve.
C'est une chose dont parle aussi Clarissa Pinkola Estés, cette radicale complétude que connaît la femme reliée à la Femme sauvage en elle, et qui fait qu'elle ne souffre pas de la solitude. Alors que LA PAPESSE et L'ÉTOILE qui appartiennent à la Verticale de la dualité ne peuvent pas s'élever jusqu'à la réalisation de leur être singulier sans rencontrer leur complémentaire, LE SOLEIL pour la première et L'EMPEREUR pour la seconde, L'IMPÉRATRICE, tout comme LA JUSTICE ou la vieille femme-squelette qu'incarne l'Atout XIII, ou encore LA LUNE, la mère archétypale ne sont jamais seules. Elles sont reliées à l'ensemble de l'univers végétal et animal de la biosphère. L'IMPÉRATRICE possède en elle, une interlocutrice, une sorte de double qui se révèle dans les rêves : son ombre, la femme-squelette avec laquelle le dialogue intérieur est essentiel pour décider de ce qui doit vivre et de ce qui doit désormais entrer dans le grand cycle du renouvellement de la vie par la mort.
Faire un enfant, c'est lui offrir le grand don de la mort, car entrer dans la vie c'est devoir se confronter à la fin de la vie. Faire un enfant c'est savoir que quelque soit le dévouement avec lequel il sera élevé, jamais ce dernier en sera satisfait, et qu'un jour, renforcé par le sentiment des insuffisances de sa mère, il partira, quittera celle qui fut le grand amour de sa vie pour poursuivre la transmission de la vie qu'il a reçu d'elle et aimer ailleurs. Si la mère n'assume pas la profonde solitude qui est le destin de toute mère, elle ne saura pas faire mourir l'attachement de l'enfant. C'est pourquoi, il est essentiel qu'elle se relie à son double intérieur, à cette Femme sauvage, qui la nourrit de telle manière que, tout en étant d'une loyauté radicale et d'un dévouement sans égal à l'égard de la famille qu'elle porte tout entière, L'IMPÉRATRICE peut voir s'éloigner ou mourir ceux qu'elle aime sans jamais se perdre elle-même.
L'ARBRE DE VIE DANS LE TAROT

Il aurait été étonnant que le Tarot n'ait pas inclus, dans son Organisation holistique, un Arbre de Vie en lien avec le Féminin sacré. Cet Arbre existe bien. Il est formé de tous les Atouts, et son tronc n'est autre que la IIIe Verticale du Tarot, constituée de L'IMPÉRATRICE, de LA JUSTICE, de l'Atout XIII, et de LA LUNE.
Pour comprendre pourquoi ce tronc ne peut pas être autre chose que cette Verticale des III qui repose sur L'IMPÉRATRICE, la Femme archétypale qui assume aussi bien son pouvoir de Vie que son pouvoir de Mort-pour-la-vie, et sa nature sauvage, son lien intrinsèque avec le dieu Cornu que représente LE DIABLE, il faut se rappeler ce que fut l'Arbre de vie dans l'Eden. Pour cela, il faut lire la Bible en étant attentif à ce qu'elle ne dit pas complètement, parce qu'elle a subi les réécritures que lui ont imposées la monolâtrie mâle, puis le monothéisme mâle qui, bien qu'il ait conservé l'Arbre de vie au milieu du Jardin, ne sait plus quel sens il avait.
L'Arbre de vie dont la religion juive garde trace sous la forme du chandelier à sept branches, la Ménorah, était le symbole de la Déesse Ashéra, précisément celle dont le culte a été violemment interdit sous le règne du roi Josias. Cet Arbre de Vie n'attend que le réveil de l'humanité, car c'est à la condition qu'elle en retrouve le sens qu'elle retrouvera l'Éden.
L'IMPÉRATRICE EST LE MAÎTRE-ATOUT DES REINES

On ne peut pas comprendre le Tarot, sans évoquer l'hermétisme qui est la philosophie et la tradition spirituelle qui l'inspire. Une des clés de compréhension de l'hermétisme se trouve énoncée dans la Table d'Émeraude :
"Ce qui est en bas, est comme ce qui est en haut ; et ce qui est en haut est comme ce qui est en bas, pour faire les miracles d'une seule chose."
Ce qui est en haut, c'est le monde intelligible, archétypal, à partir du modèle duquel le monde matériel est créé. Ce qui est en bas, c'est la biosphère, la terre, qui est faite à l'image du monde intelligible. Au sein du Tarot, il faut considérer les Atouts comme l'expression des archétypes universels du monde intelligible. Les Cartes de Couleur et particulièrement les Figures sont les reflets des archétypes qu'on trouve dans les Atouts, et particulièrement les archétypes des deux premières Mains. Ainsi, nécessairement, ce qui est en bas va refléter ce qui est en haut, tout comme ce qui est en haut se reflétera dans la quadruplicité des Figures en Couleurs.
La distribution des Cartes du Tarot cinq par cinq mettent en lumière cette évidence : L'IMPÉRATRICE, archétype céleste, se reflète dans quatre types de femmes : les Reines du Tarot, chacune interprétant l'universalité de L'IMPÉRATRICE dans la Couleur qui est la sienne.
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