
LES QUATRE MAINS DU TAROT
Ce post est peut-être l'un des plus difficiles d'accès, mais c'est aussi l'un des plus gratifiants à lire, car s'y trouvent de nombreux secrets du Tarot, dans son lien à l'histoire de sa création, tout comme dans la profonde symbolique qu'y s'y trouve inscrite. Ce qu'il faut appeler les "Mains du Tarot", ce sont les quatre Niveaux d'Atouts qui se répartissent, cinq par cinq, à partir du BATELEUR jusqu'au JUGEMENT.
Ces quatre Mains apparaissent en effet quand on fait la distribution des Cartes du Tarot, cinq Cartes par cinq Cartes. Et ces Mains ont une signification précise qui relève de la doctrine hermétique, telle qu'elle a été retrouvée par l'élite de la Renaissance et telle qu'elle s'est ensuite transmise, dans le Tarot, par ses créateurs.
PETITE HISTOIRE DU TAROT DE MARSEILLE ET SON LIEN AU CORPUS HERMETICUM TRADUIT PAR MARSILE FICIN

Les Créateurs du Tarot étaient des hermétistes qui, grâce au travail de traduction et d'explication de Marsile Ficin, avaient découvert le Corpus Hermeticum, du fait que son manuscrit avait été emmené par les réfugiés de Constantinople.
Ce fut pour Marsile Ficin une révélation que cette doctrine hermétiste de l'Antiquité alexandrine et il en diffusa l'enseignement auprès de ses amis, au sein de l'élite intellectuelle, artistique et politique de son époque. Cet ouvrage est en effet, avec l'Asclépios, l'une des deux grandes oeuvres de l'hermétisme alexandrin que l'histoire nous a léguées, mais, à la différence de l'Asclépios connu par le Moyen Âge et dont la lecture s'accommode relativement bien aux croyances religieuses chrétiennes, le Corpus Hermeticum transmet sans concession la posture panthéiste des hermétistes alexandrins, une posture fort différente de la théologie de la transcendance propre aux trois monothéismes historiques.
C'est ce panthéisme que les créateurs du Tarot ont cherché à transmettre à travers un jeu de cartes.
Ce panthéisme avait en effet fini par imprégner toute l'élite de la Renaissance, mais elle ne pouvait, en effet, être diffusée directement sans risque et Marsile Ficin, lui-même, avait échappé de peu aux foudres de l'Inquisition romaine.
Il s'agissait donc de faire passer un message au monde et à la postérité sans risquer de voir ce message intercepté et détruit pour des raisons d'incompatibilité religieuse et, pour les créateurs du Tarot, sans risquer leur réputation et leur tranquillité, et sans doute même leur propre vie à un moment de l'histoire européenne où risquer d'être assimilé à des sorcières et sorciers, c'était prendre le risque d'être brûlé vif.
Les créateurs du Tarot ont donc eu l'idée de créer un jeu à forte signification symbolique en imitant un jeu de cartes utilisé par les Cours princières de l'époque : le jeu Visconti-Sforza fait d'enluminures et qui faisait déjà la synthèse de trois types de jeu existant les siècles précédents : des jeux de Cartes à points, des jeux de Cours, et les Triomphes du poète Pétrarque. C'est en imitant les jeux princiers à Triomphes que le Tarot s'est doté de trois types de Cartes, avec les Nombres (ou Cartes Numérales), des Honneurs (dites aussi Figures ou Cartes de Cour) et les Atouts. Mais pour pouvoir transmettre leur message, les créateurs du Tarot ont opéré d'importantes modifications.
La première de ces modifications a consisté dans l'élimination des cartes spécifiquement en lien avec la doctrine catholique et en particulier les trois vertus dites théologales qu'on trouve encore dans le jeu Visconti-Sforza de la Bibliothèque Beinecke : la foi, l'espérance et la charité.
Les créateurs du Tarot transformèrent en outre les iconographies existantes pour les faire coïncider avec une symbolique en conformité avec l'hermétisme alexandrin. Et ils nombrèrent et nommèrent les Cartes, puis organisèrent un ensemble de correspondances entre elles de façon à ce que l'ensemble soit l'expression de la vision du monde qui était la leur depuis leur lecture du Corpus Hermeticum.

Il est donc impossible d'ouvrir le Livre du Tarot, et de répondre aux énigmes qu'il pose à l'amateur, tout comme d'en comprendre le message, sans connaître un minimum en quoi consiste la doctrine hermétiste et la façon dont elle s'est réinventée à la Renaissance. C'est pourquoi nous vous invitons à lire ce post si ce n'est déjà fait. Vous y trouverez un résumé de cette doctrine et pourrez dès lors vous amuser à retrouver cette doctrine dans le Tarot.
Le panthéisme égyptien en fut certainement l'un des éléments les plus importants pour l'élite de la Renaissance qui s'est si fortement éprise de la doctrine hermétiste : le monde tel que nous le voyons, n'est pas conçu comme créé par un Dieu transcendant et extérieur à la Création, mais à partir d'un Dieu à la fois antérieur à la Création et immanent à celle-ci, comme l'est le Couple égyptiens Amon-Mout .
Comme l'explique, de multiples manières, le Corpus Hermeticum, L'Incréé qu'est la Divinité originelle Une se révèle en toutes choses, car le cosmos n'est rien d'autre que Le Corps sacré du Divin, autrement dit Sa Manifestation :
« Tout ce qui existe, ô Asclépios, est en Dieu, produit par lui et dépendant de lui ; ce qui agit par les corps, ce qui meut par l’essence animée, ce qui vivifie par l’esprit, ce qui sert de réceptacle aux existants décédé, tout cela est en Dieu. Et je ne dis pas seulement qu’il contient tout, mais que véritablement il est tout. Il ne tire rien du dehors, il fait tout sortir de lui. »
LA CRÉATION DU MONDE ET L'ANTHROPOS PRIMORDIAL DANS LE POIMANDRÈS, ET LEUR TRADUCTION DANS LE TAROT

C'est dans le Poimandrès (le Berger), le premier Logos du Corpus Hermeticum, qui porte le nom, que se donne à elle-même, la Divinité originelle, que cette dernière dévoile à un Hermès inspiré et en transe, comment s'est faite la Création du Monde.
Puisque, dans la doctrine hermétiste, tout ce qui existe est la manifestation de l'Un divin, le Cosmos n'est autre que la Divinité Elle-même qui Se Manifeste.
Et la première Expression divine de la Manifestation prend la forme d'une Dualité originelle : celle qui oppose à la plus délicieuse des Lumières, les plus effrayantes Ténèbres. De la Lumière découle l'Âme divine immatérielle, faite des formes archétypales, tandis que des Ténèbres découlent la Matière, cette Materia Prima des alchimistes et dont tout est fait.
Ces deux mondes du Poimandrès : Archétypal d'un côté et Matériel de l'autre ont pris leur place dans le Tarot qui donne une signification symbolique aux trois types de Cartes héritées du je princier Visconti-Sforza : les Atouts sont les Archétypes en jeu dans l'Âme du monde, et les Cours ainsi que les Nombres incarnent les existants du monde matériel, les premiers renvoyant aux existants humains, les seconds aux événements et situations possibles de l'existence humaine.
La matéria prima cependant, avant même d'être informée à partir du modèle archétypal obéit à un modèle antérieur et propre à la nature de la matière : les quatre Éléments primordiaux avec la Terre et l'Eau, d'abord, puis le Feu et l'Air. Ces quatre Éléments, dont absolument tout est fait, se traduisent, au sein du Tarot, dans ses quatre Couleurs : Terre pour les Deniers, Feu pour les Bâtons, Air pour les Épées et Eau pour les Coupes. Mais il faut les voir aussi dans les quatre personnages aux coins du MONDE. Et ils sont en résonance avec les quatre Mains du Tarot.

Enfin, on ne comprend pas pourquoi les Cours se distinguent si clairement du reste des Cartes de Couleur si l'on ne fait pas référence à la création particulière de l'humanité, et avant celle-ci du Modèle éternel et archétypal à partir duquel elle a été modelée par la nature. Il s'agit de l'Anthropos primordial tel que la décrit le Poimandrès du Corpus Hermeticum et qui prend place dans le Tarot dans l'Atout XXI, LE MONDE.
L'Anthropos primordial ne se tient pas au milieu des autres archétypes, et on voit, dans le Tarot, qu'il a, avec LE MAT qui incarne la matéria prima d'avant son façonnement par une adjonction de Forme, une place à part.
Il ses trouve que, dans le premier Traité du Corpus Hermeticum, il y a une relation privilégié entre la Divinité Une et cet archétype particulier qu'est l'Anthropos primordial : c'est à la fois l'enfant chéri du divin, mais aussi le seul des archétype à lui être absolument et complètement semblable.
Alors que tous les autres Archétypes expriment une forme limitée de l'Âme divine, l'Anthropos primordial en est une expression complète. Il contient, en lui, affirme le personnage du Poimandrès, la totalité du divin, comme s'il était, en résumé, le double de l' ensemble de l'Âme cosmique archétypale, cette partie immatérielle du Divin et qui est formée de l'ensemble des autres archétypes :
"Mais le moteur Père-Mère de toutes choses, qui est la Vie et la lumière, engendra l'Anthropos semblable à Lui-même et l'aima en tant qu'il était son propre enfant. Par sa beauté celui-ci reproduisait l'Image de la Divinité Une et cette dernière aimait donc en réalité, en lui, sa propre forme, et elle lui livra toutes ses créatures.

Il ne faut pas s'étonner de la ressemblance qu'on peut trouver entre l'Anthropos primordial des hermétistes et l'Adam Kadmon de la cabale espagnole car cette notion "d'Anthropos primordial" appartenait aussi à la tradition gnosticisme dont la cabale découle.
L'hermétisme et le gnosticisme alexandrin ont beau avoir eu des postures opposées l'une à l'autre, en particulier sur la question de la transcendance ou l'immanence du divin, ces deux traditions appartenaient au même milieu intellectuel et spirituel de l'Antiquité et à la même époque. Elles partagent donc bien des concepts même si elles ne leur donnent pas le même sens. Vous pouvez approfondir la comparaison entre hermétisme et gnosticisme ici.

L'élite italienne de la Renaissance a d'autre part adapté la conception alexandrine de l'Anthropos primordial au renouveau évangélique qu'elle a connu au même moment qu'elle redécouvrait l'hermétisme.
Cette élite italienne avait en effet enfin accès aux Écritures saintes, dans des manuscrits écrits en grec arrivés avec les réfugiés de Constantinople, manuscrits restés fidèles aux textes originaux, préservés donc de toutes les adaptations que lui avait fait subir, en Europe, la vulgate romaine.
Les artistes et penseurs de la Renaissance identifièrent l'Anthropos primordial des hermétistes alexandrins au Christ, seul être humain , au sein de toute l'histoire de l'humanité, à avoir rendu vivante l'image originelle à partir de laquelle l'humanité historique était considérée comme constituée par l'hermétisme. Aux yeux de l'élite de la Renaissance, en effet, l'humanité historique restait très en deçà de son modèle éternel, pendant qu'au contraire Jésus de Nazareth l'avait pleinement réalisé, dans son existence historique même, s'offrant dès lors en modèle au reste de l'humanité.
Une telle vision de la personne historique de Jésus de Nazareth était à l'époque iconoclaste. Elle ne pouvait donc se transmettre que de manière codée à la postérité.
Clairement inspirés par l'hermétisme, les créateurs du Tarot ont donné une place exceptionnelle à l'Anthropos primordial au sein de son Organisation holistique : il se trouve dans la Carte du MONDE. Mais alors que l'Anthropos primordial hermétique est androgyne puisque dans le Poimandrès, c'est ainsi qu'il est créé dans son essence archétypale immatérielle, à la fois Homme et Femme, semblable en cela au divin, La Danseuse du MONDE qui reprend la posture du Christ est femme, parce qu'elle représente l'humanité tout entière.
LES RELATIONS, DANS LE TAROT ENTRE L'ÂME DU MONDE ET L'ANTHROPOS-CHRISTIQUE

Puisque l'Anthropos primordial est un résumé de l'Âme divine (ou Âme du Monde cosmique ), et que cette dernière est tout entière constituée de ce que Platon appelle "le Monde intelligible", l'ensemble des Archétypes originels à partir desquels les existants du monde cosmique sont modelés, on doit voir des points communs entre le XXI Atout et le reste des Atouts, non seulement dans son iconographie mais aussi dans son Nombre. Et c'est là que les Mains du Tarot trouvent leur sens.
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